#Histoire : Raisins Aigres & Figues Moisies

Lionel_Hampton-e1375185373927

La querelle entre Boris Vian et Hugues Panassié a illustré le divorce entre les tenants du Jazz traditionnel et ceux du Jazz moderne générant indifférence voire mépris réciproques. Alain Forradelles*, un expert, nous donne son point de vue.

La génération juste après Armstrong, les Jonah Jones, Buck Clayton, Charlie Shavers, Coleman Hawkins, Johnny Hodges, Lionel Hampton, trentenaires en 1940,  étaient parvenus à une perfection musicale.

La nouvelle génération pour faire sa place, se devait de se démarquer en créant une musique plus complexe, moins axée sur la danse (un changement de critères qui  donnera naissance au Be-Bop).

Dans les années 30,  déjà, médias et critiques blancs découvrant le jazz par les radios émettant depuis les grands clubs et les dancings transformaient en phénomène de mode et « d’entertainment » une musique qui, cessait alors  d’être ressentie comme un « art primaire ». Benny Goodman était sacré roi du swing, et, les musiciens les plus adulés (Artie Shaw, Tommy Dorsey), étaient tous blancs. Certes, Louis Armstrong jouait toujours, mais, devait se livrer à toutes sortes d’excentricités…(les sur-aigus, notamment).

Une mode chassant l’autre, la « nouveauté » étant devenue essentielle ,  on enrichit les harmonies, et, swing, danse, mélodie, expressivité, et sens du blues n’étaient plus les objectifs prioritaires. Certains (Coleman Hawkins) relevèrent ce nouveau défi avec panache, mais la plupart des  musiciens « classiques » furent vite ringardisés.

Pourtant, dans les années 50 et 60, malgré l’indifférence des médias, Jonah Jones, Sidney Bechet, Armstrong jouaient encore, fidèles à leurs critères historiques ainsi que Duke Ellington (plus influencé par la musique classique européenne que par les « avancées » du Be-Bop, il suffit d’écouter Ko-Ko pour retrouver l’essence même du Blues). Ces auteurs de mélodies et de rythmes qui touchent au cœur et aux tripes ont eu raison du silence des médias. Mais, les ponts étaient rompus, et,  si la majorité des  amateurs noirs du « Savoy Ball Room » et  de Chick Webb, se sont retrouvés sans passer par la case Be-Bop, dans le  « Rhythm and Blues » (la face « noire » du « Rock and Roll »  qui, lui, est totalement blanc), peu ont opté pour le jazz moderne.. Et, les amateurs blancs, sauf quelques intellectuels éclairés, sont allés se réfugier dans la variété et la Pop Music.

773-duke-ellington-400-400Duke Ellington

En France, et en Europe, le « Middle jazz »  ou « Mainstream »  (soutenu par Panassié) a fait les frais de ces bouleversements. Le jazz traditionnel, dit « New Orleans », étant plus facile d’accès,  et les  Illinois Jaquet, Buddy Tate, Doc Cheatham, et Vic Dickenson qu’on applaudissait à la Grande Parade de Nice étaient en Amérique, tombés dans l’anonymat, voire dans l’oubli.

Si dans les années 30 et 40, les musiciens étaient de brillants instrumentistes et improvisateurs, dont les enregistrements étaient faits dans des conditions correctes, ceux des années 20, étaient souvent des « semi-pros », moins bon techniquement. Leurs disques sont rares et de qualité médiocre mais ils avaient le  grand mérite de « garder la maison », ce que Panassié, obnubilé  par le Middle jazz a peut-être un peu négligé.

Bien qu’en Europe, en général, on ait pris plus vite qu’en Amérique, conscience du jazz comme phénomène culturel  (amateurs et « connaisseurs » plus nombreux et plus actifs,  attachés aux valeurs des origines), en France, beaucoup ont été fascinés par la personnalité et le charisme de Sidney Bechet. Sa manière était pourtant assez distincte de celle de la Nouvelle Orléans, en particulier pour ses sections rythmiques « modernes » (adieu les roulements de caisse claire, vive les cymbales). Aussi  ses nombreux  disciples  (Claude Luter,Marc Laferrière, Maxim Saury…) ont imposé des normes différentes de celles qui prévalent partout ailleurs. En effet, en Grande Bretagne, Allemagne, Hollande, Suisse et dans les pays Scandinaves, les modèles demeuraient le Preservation Hall Orchestra, George Lewis ou Kid Thomas. Ainsi, le « Trad-Boom » anglais  des années 50 et 60 (Monty Sunshine, Chris Barber, Acker Bilk, Ken Collier, Humphrey Littleton) et les divers mouvements européens (comme le Deutsch Swing College) on fait de nombreux adeptes  tout en restant plus proches de la musique de la Nouvelle Orléans. Les clubs et les festivals dédiés à cette musique  y sont  nombreux qu’ici, et la jeunesse des  spectateurs séduits par cette musique témoigne de cette vitalité et de cette constance… »

mediaSidney Bechet

Propos recueillis par Daniel Lascaux auprès du *Président du « Jazz Club de Provence », le trompettiste Aixoix Alain « Martien » Foradelles.  Militant du « Jazz Classique », directeur du « Traditional Jazz Band » il fit 22 séjours d’un mois  à La Nouvelle Orléans, et y a joué de nombreuses fois y compris au « Preservation Hall ».

Ecrit par Daniel Chauvet
  • Les concerts Jazz et +

  • Le Jazzophone