#JAZZet #POLAR « La loi de Murphy »

On le sait, Bird est le surnom de Charlie Parker. C’est aussi le prénom du personnage principal d’un formidable roman d’Eric Miles Williamson, Bienvenue à Oakland, paru chez Fayard Noir, il y a quelques années. T. Bird Murphy a choisi de vivre dans un trou, au fond d’un box.

On est ici dans le quart monde, dans les bas-fonds, émigrés, clandestins, trafics en tous genres. La lie de l’Amérique dont on hume  les remugles dans les romans américains les plus noirs. « Ce livre parle des gens qui travaillent pour gagner leur vie, les gens qui se salissent et ne seront jamais propres, les gens qui se lavent les mains à la térébenthine, au solvant ou à l’eau de Javel… Dans le vortex de la tristesse du monde« . Murphy a tourné le dos au rêve américain. Écrivain, ouvrier, il passe d’un petit boulot à un autre, il se torche avec les copains plus nazes que lui mais ce qu’il aime faire, « c’est jouer de la trompette ». Parce que lorsqu’il a entendu Wynton Marsalis et Art Blakey,  « on aurait dit qu’une sorte de Dieu était descendu parmi nous. » Parce que Pop, son  père, en fait celui qui l’a élevé, ouvrier comme lui, est un vrai musicien. Parce que, dans ce bas monde, « les seules vérités, c’est l’amour, la stupeur et la musique. »

Au fil des pages, Murphy nous raconte les galères, les siennes, comme un de ses premiers boulots à s’abimer les mains dans les ronces à désherber des heures durant, pour moins de un dollar par jour. Les vies misérables de ses potes, les mariages ratés, les défonces, les bagarres. La violence de ces quartiers, de ces vies est décuplée par la rage, le rythme qu’instille l’écrivain dans chaque histoire, à chaque page. Une ironie mordante, un humour grinçant souvent désespéré accompagnent chacun des destins tordus que Williamson, par la plume de T. Bird Murphy, nous raconte, non, plutôt nous jette à la figure. Comme il l’explique – sans se justifier, bien sûr- la littérature doit déranger, doit donner des coups de poings, doit conduire à la désobéissance. Comme les notes magnifiques qui sortent des instruments déglingués de ses compagnons, souvent éclopés. Le récit se termine en apothéose par le mariage de Pop, qui permet à l’écrivain américain un délire total, un maelstrom incroyable de situations improbables accompagnées de quelques magnifiques pages sur les musiciens et la musique. Rarement sensations, émotions que procurent le jazz ont été aussi bien décrites, aussi habilement transformées en mots, en phrases : » Ce son qui ressortait de la trompette de mon père, c’était le vent qui faisait des pirouettes dans les tulles, le souffle brutal de l’orage dans les tuyaux d’une cage à poules sur le terrain de jeu, les gémissements de la cheminée dans l’ouragan.« 

Le jazz n’est pas le thème principal de la partition que joue Eric Miles Williamson. Bienvenue à Oakland est bien plus un récit désespéré sur la condition ouvrière, sur ceux qui triment et trinquent. Peut-être comme ces sons qui sont sortis des cornets des esclaves et de leurs descendants à la fin du XIXème siècle. Qui pensaient déjà, peut-être, comme Murphy que, jouer du Jazz, c’est comme être bourré au dernier degré et baratiner sa nana préférée pour la convaincre qu’on est vraiment sexy… Et y arriver !

Ecrit par Corinne Naidet
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