#PORTRAIT Frank Morgan

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« L’enfer est vide. Tous les démons sont ici » Shakespeare. « La Tempête ». Tous les démons ? Sans doute beaucoup dans cette triste époque où la folie des hommes pourrait nous faire oublier la beauté  du monde, des êtres, des arts, et donc de la musique ; cette musique que nous aimons et défendons dans ce journal.

Pourtant, le parcours de certains est une telle tragédie que l’on peut ; non, que l’on est obligé, de penser que bien des démons  ont déserté l’enfer pour briser  leur existence. Tel est le cas de Frank Morgan saxophoniste de jazz.

Frank Morgan at Bach Dancing & Dynamite Society, Half Moon Bay CA 9/2/86 © Brian McMillen / brianmcmillen@hotmail.com

Né en 1933 à Minneapolis (U.S.A.) élevé presque exclusivement par sa grand-mère à Milwaukee (ses parents musiciens étaient en tournée permanente). Enfant prodige, il adopte la guitare comme son père, mais celui-ci, au hasard d’un spectacle lui fait faire la connaissance de Charlie Parker qui le fascine et l’oriente vers le sax alto. Mais le gamin – il a dix ans ! -commence par la pratique de la clarinette durant deux ans, et passe ensuite au sax soprano puis enfin à l’alto. Il vit désormais avec son père séparé de sa mère. Un démon est déjà là : sa grand-mère l’a surpris avec de la marijuana. Doué, déjà il joue en public, accompagne Billie Holiday, Joséphine Baker, gagne un concours, reste en contact avec Parker, joue dans des villas d’Hollywood. Sa première arrestation le prive de se joindre à Clifford Brown et Max Roach. En 1953 il enregistre avec Teddy Charles et Kenny Clarke et en 1955 son premier album en leader : (Introducing Frank Morgan.)

Les démons ne le lâchent pas, il participe pourtant à des sessions avec Kenny Clarke et Milt Jackson, il publie cependant en 1955 un album (Frank Morgan) avec Bobby.Timmons et J. Sheldon et  la critique le salue comme le nouveau Charlie Parker décédé la même année, ce Parker avec qui il avait découvert l’héroïne à 17 ans !

L’enfer se déchaîne alors, la drogue le hante, lui est indispensable, sa consommation est délirante, il fait usage de faux, se compromet dans des vols. Brisé, il atterrit en 1962 dans la prison de San Quentin, en sort, y rentre à nouveau, pour un long enfermement. Là, il forme avec Art Pepper un autre détenu pour les mêmes causes, un ensemble qui, sans doute, le fait survivre…. Après une violation de conditionnelle, il sera tout de même libéré en 1986. La drogue est finie pour lui… grâce à la méthadone.

Enfin, la musique renaît ! Il enregistre (Easy Living) en 1986 ; il refuse de jouer dans le film de Clint  Eastwood (BIRD) qui le veut pourtant pour  le rôle de Charlie Parker, mais joue au ‘ Village Vanguard ’ avec son groupe (Ronnie Mathews, Walter Booker, Victor Lewis). Son album Mood Indigo fait exploser les charts. La suite est  remarquable, de 1990 à 2005 ce seront : a lonesome thing 1990 ; listen to the dawn 1993 ; love, lost and found  1995; Bop ! 1996 ; city nights 2004 ; raising the standard 2005 ; reflections 2005.

Il y aura de nombreuses sessions avec les plus grands, il fera même son premier voyage en Europe. Il meurt d’un cancer  en décembre 2007.

Vous avez remarqué que je n’ai pas parlé de sa musique, du son de son instrument : ils sont à l’image de sa vie : déchirants, vibrants, émouvants, envoutants, mais étrangement nous tiennent à l’écart à chaque écoute lumineuse, de ces foutus démons dont la vie, la vraie, n’a que faire. Le paradoxe étant que la souffrance de l’un puisse faire le bonheur de tant d’autres. Écoutez Frank Morgan.

Ecrit par Jean Bellissime
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