#Chronique « Rubberband » de Miles Davis : le temps est-il élastique ?

La famille de Miles Davis a récemment autorisé les collaborateurs de ce dernier, et d’autres artistes, à participer à la sortie du dernier album posthume de l’artiste (le second, après Doo Bop, en 1992). Si l’on est, comme moi, fan de Miles Davis depuis toujours, on ne peut pas s’empêcher de douter que cette réalisation soit à la hauteur de l’artiste et de tout ce qu’il nous a apporté. J’écoute donc « Rubberband » une première fois… bruyant et daté ! Une seconde fois… ma foi, ce n’est pas si mal, Mais…

Les deux morceaux vocaux avec Lalah Hathaway et Ledisi sont sans doute les plus musicaux. Mais Miles y reste à l’arrière-plan, un peu comme un choriste. La trompette de Miles chantait, son ‘son’ avait plus de personnalité, était aussi reconnaissable, que la voix d’un chanteur ou d’un ami, alors l’entendre rester en accompagnement un peu lointain, c’est forcément cruel pour ceux qui s’attendaient à l’entendre à la place où ils le connaissent : à l’avant-scène, et au centre de la musique en train de se jouer.

Alors j’ai commencé à remonter dans le temps et dans ma propre collection de disques, et à réécouter la musique que Miles a produit à la même époque que les enregistrements utilisés pour « Rubberband » (vers 1985). J’écoute Tutu (1986). Il y a quelque chose en commun… les sons électroniques, la manière d’utiliser ces machines des années 80 dans la création musicale. Mais il n’y a pas dans « Rubberband » cet espace dramatique qui est la marque de Miles : Miles savait créer un espace encore mieux qu’il savait jouer des notes ou des phrases. J’écoute aussi Aura (1989), composé en collaboration avec Palle Mikkelborg, sur lequel on retrouve John McLaughlin, Marilyn Mazur, et Vince Wilburn, le dernier batteur de Miles, qui était aussi son neveu, et qui est aussi producteur et collaborateur pour « Rubberband ». Ici c’est la modernité, la complexité, la liberté, et toujours, et par-dessus tout, cet espace propre à Miles Davis… mais je m’égare, revenons à « Rubberband… » (ne dites à personne que j’ai aussi écouté « Bitches Brew » et « Porgy & Bess ! »).

Disons-le tout net : « Rubberband » contient de beaux morceaux. Le premier morceau de l’album, Rubberband of Life, est chantée par une grande de la R’n’B d’aujourd’hui :  Ledisi.  La voix de Miles ouvre avec un « rubberband, rubberband, rubberband », suivie d’un riff de guitare à la George Benson. L’ambiance cool de cette composition en fait une ouverture d’album parfaite. Pas facile de dire à quel siècle appartient cette chanson, avec ses boites à rythmes et ses hands claps, mais le groove est là, et Ledisi est plus qu’à la hauteur de son rôle de « guest vocalist », et elle donne tout: gospel et RnB, improvisations et scatting sont magnifiques.

« So Emotional », avec la seconde chanteuse invitée Lalah Hathaway, sonne comme un vraiment très bon R’n’B song, dans la lignée de ce à quoi cette très grande chanteuse nous a habitués, il n’y a pas là de grande surprise… à part que ça fait partie d’un album de Miles Davis, et qu’on entend la trompette de Miles quelque part à l’arrière plan. Lalah est présente toute entière, avec tout son talent et sa voix, à la hauteur de l’héritage de son père. Du chant enthousiasmant, mais très très peu de Miles ! C’est même étrange à quel point il est absent de cette plage-là.

Il y a au moins deux morceaux instrumentaux qui doivent être mentionnés : « Give it Up » et « Echoes In Time/The Wrinkle ». « Give it Up » rappelle un peu le « Jean-Pierre » de Miles : un thème simplissime qui ne pouvait être rendu musical que par Miles lui-même. C’est funky, et ça contient  ces magnifiques lignes musicales pour lesquelles on aime Miles. Personnellement, j’aurais aimé un peu plus de morceaux comme celui-là sur l’album. 

« Echoes In Time/The Wrinkle » c’est d’abord Miles Davis solo qui se détache sur une aquarelle de synthétiseurs, un endroit où on peut reprendre son souffle musical… jusqu’au moment où on est rattrapé un peu brutalement par une ambiance funky, et là le jeu de Miles fait merveille, mais il se passe tellement de choses qu’une partie de l’espace créé par l’artiste nous est subtilisée. Je crois que ce n’est pas forcément mal de se procurer un exemplaire de « Rubberband » . Ce n’est pas « Kind of Blue », ni « Bitches Brew » ni non plus « Tutu ».  Mais c’est quand même « Kind of Nice » d’entendre du Miles Davis qu’on ne connaissait pas! Et tant mieux si cela nous incite à réécouter nos anciens albums ou encore mieux si cela fait découvrir à d’autres l’œuvre de l’un des musiciens les plus aimés de tous les temps. 

Ecrit par Sharron Mcleod
  • Les concerts Jazz et +

  • Le Jazzophone