#Focus

 #Jazz : London Calling

Et si le renouveau du Jazz passait par Londres ? La question aurait pu paraitre saugrenue il y a encore quelques semaines. Londres est associé au rock ou à la pop, moins au Jazz. Et pourtant, une nouvelle scène en pleine effervescence s’installe et pourrait se propager d’ici peu au reste du monde.

Mes sens avaient été mis en éveil dès fin 2016 par l’album « Black focus » de Yussef Kamaal. Pris comme un énorme coup de poing, nous étions nombreux à être restés ko à la première écoute. Malheureusement l’alchimie entre Yussef Dayes, Dj / producteur / compositeur, et Kamaal Williams, batteur de génie, sera de courte durée puisque le groupe s’est séparé en 2017. Un simple coup d’épée dans l’eau ?

Pas vraiment. Début 2018, Gilles Peterson, découvreur de talent, publiait une tribune très intéressant dans un journal très sérieux, The Guardian, où il annonçait clairement : « la frontière entre la culture club et le jazz est finalement cassée ». Il a bougrement raison le garçon, car s’il y a une idée commune à cette scène émergente, c’est l’abolition des règles et codes. Londres présente deux avantages majeurs : n’étant pas une terre référencée du jazz, elle échappe au poids de l’histoire qui peut parfois inhiber les énergies ; c’est un carrefour multiculturel qui se nourrit et brasse des musiques d’origines très différentes. C’est ainsi que le jazz s’associe à l’afrobeat, la jungle ou drum & bass, la techno, le hip-hop ou la trap

Mais ne perdons pas de temps et effectuons une plongée dans le cœur de la ville à la recherche de ces futures pépites. Et pour cela, il y a un lieu unique : les sessions de Brownswood Basement. Tous les musiciens de talent s’y produisent. C’est un rite de passage obligatoire pour susciter la curiosité et l’intérêt des amoureux de bons sons.

S’il n’y a plus de Yussuf Kaamal, Kamaal Williams est bien présent et il le confirme en revenant avec un projet nommé opportunément : « The Return » (sortie fin mai 2018). Vous pouvez déjà vous échauffer avec un premier extrait de 8’44 (« Catch the loop ») où il confirme son talent de batteur de rupture.

2017 avait également permis de découvrir Alfa Mist, pianiste, producteur, beatmaker et rappeur à ses heures perdues. En 8 titres et 53mn (« Antiphon »), il a apporté une fraicheur et une légèreté qui fait de cet album un indispensable (le Dr Jazzophone l’a conseillé lors d’une précédente parution, c’est dire le gage de qualité).

Shabaka Hutchings est un personnage à part. Véritable touche-à-tout de talent, il est aujourd’hui considéré comme une des pierres angulaires du Jazz londonien. Son dernier projet en date, Sons of Kemet, est un symbole de ces rencontres musicales incongrues entre Jazz, techno et musique africaine. La dernière livraison date du 30 mars dernier avec un « Your Queen is a reptile » surprenant et déroutant.

Restons sur les personnages clés avec l’univers de Tenderlonious. Patron du label 22a, producteur, saxophoniste et même flutiste depuis peu, on le retrouve sous son nom propre (le très urbain « 8R1K C17Y » que l’on peut traduire par Brick City) ou aux commandes de Ruby Rashton and 22archestra (« Trudi’s songbook, vol.2 »). La légende veut qu’il ait appris sur le tard à jouer d’un instrument (23 ans), le saxophone soprano, inspiré par l’immense Yusef Lateef.

Poursuivons le menu Découverte avec Ezra Collective. Ce groupe de 5 musiciens (piano, basse, batterie / percussions, saxophone et trompette) possède une réelle culture Jazz, mais n’hésite pas l’agrémenter et la mélanger avec des sons venus du Nigéria (afrobeat) ou des États-Unis (hip-hop). Le résultat s’appelle « Juan Pablo : the philosopher » et il en ressort une énergie et une puissance rare. Je conseille également une écoute attentive d’un 6 titres intitulés « Idiom » dans lequel le pianiste d’Ezra Collective, s’illustre aux côtés de Maxwell Owin, Oscar Jérome et Nubya Garcia dans un registre plus Jazz électro.

Impossible de passer sous silence l’exceptionnel talent de Nubya Garcia. Cette jeune saxophoniste est tout simplement bluffante. Son premier projet solo comporte 5 morceaux originaux magnifiquement nommés « Nubya’s five ». Son Jazz s’approprie facilement des influences latines, caraïbéennes et ouest-africaines. « Fly free » résume les qualités de cette artiste très prometteuse.

Nous sommes déjà arrivés au bout de cette chronique et je n’ai pas eu le temps d’évoquer Blue Lab Beat (l’album « Xover » vient de sortir),

Zara McFarlane,

Binker and Moses,

Ill Considered (à découvrir de toute urgence)

ou Ashley Henry and the RE:ensemble.

Parions que nous en reparlerons dans quelques années lorsque Le Jazzophone fera un numéro spécial consacré à la scène jazz londonienne et son influence à travers le Monde.

Ecrit par Cyril Hely
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