#Interview : Aziz Sahmaoui Poetic Trance à Taragalte

C’est au cœur des dunes du 10e Festival Taragalte à M’hamid el Ghizlane (sud du Maroc) que nous avons rencontré Aziz Sahmaoui, co-fondateur de lOrchestre National de Barbes et fer de lance d’University of Gnawa. Le musicien multi-instrumentiste et le groupe panafricain présentaient au public, son 3e album Poetic Trance. (Coup de cœur 2019 de l’Académie Charles Cros, catégorie Mémoire Vivante. Trois nominations aux Africa Music Awards 2019, dont album de l’année.)

La nuit est avancée quand, sur scène, la voix a capela d’Aziz Sahmaoui s’élève. Le chant des musiciens répond en palier. La magie s’installe dans l’espace « comme une invitation à ouvrir son cœur ». Les premières notes du N’goni (instrument à 4 cordes sur une table en peau de chèvre) donne le tempo, architecte d’un jeu répétitif, base de la transe des maîtres Gnawa et des rites de possessions, qui délivrent les âmes tourmentées. Le titre, Soudani yé yemma, chante le sol soudanais, la fertilité, l’Afrique quand le solo rock d’Hervé Samb embrase la foule captive. Soudani yé yemma invite celui qui l’écoute à une Afrique re-dimensionnée autour des deux rives du Sahara. « Il y a un pont entre l’Afrique et l’Europe qui relie. On a toujours voulu réunir les deux genres et on a toujours travaillé dans ce sens pour que l’Européen se retrouve dans nos rythmes. Ici les influences pop rock jazz blues tissent des liens esthétiques avec la tradition Gnawa et africaine ». L’album reflète ce langage musical issu d’années de recherches et régénérateur du genre. Il met en lumière une création réfléchie où chacun apporte ses racines et sa culture. « Avec cet album, on passe d’une culture jazz à un jazz rock, à un jazz Gnawa, un jazz marocain, algérien, raï, alaoui, touareg, tamasheq, arabo andalou, berbère ».

L’artiste et son groupe panafricain fusionnent les genres avec majesté. University of Gnawa, « c’est des musiciens qui crèvent sur scène pour la musique, pour un rythme un tempo. Ils crèvent pour un solo. Ils crèvent pour un espace sur scène et je fais partie de ces gens-là ». Chaque musicien est acteur et créateur quand la musique plonge au cœur d’une Afrique sur laquelle souffle une mystique ascendante. Aziz Sahmaoui façonne un son cosmopolite avec générosité. Poetic Trance est un pari réussi assume le musicien-poète. « Tout particulièrement avec le morceau Janna Ifrikiya avec lequel on a presque atteint l’équilibre, je l’espère, musicalement et politiquement ». Énergique, Janna Ifrikya, célèbre la beauté et la richesse de cette Afrique convoitée. Son rock band composé d’Hervé Samb (guitare et chant), Alioune Wade (basse et chant), Amen Viara (guitare et chant), Adhil Mirghani (percussions), Jon Grandcamp (batterie) et Cheikh Diallo (clavier), propulse crescendo une cadence habitée.

Sur scène, rien n’arrête la transe, motif mélodique, ostinato, canon, polyrythmie, Ngoni, Oud, guitare rock, percussions, Aziz Sahmaoui pose sa voix au- dessus du rythme Gnawa. L’auditeur communie avec la scène pulsatile. Au milieu, presque invisible, mais bien là, le virtuose glisse un Black Market de Weather Report, hommage discret à Joe Zawinul. Collée à la cadence, même l’ombre est prise de fièvre extatique. La poésie des sons et des mots enveloppe la nuit, NOgcha, Absence, Nouria. Entre-voisins, parle de l’autre, de ce qui les divise. des titres phares s’entremêlent sur demande du public qui connait par cœur le répertoire d’albums précédents : Meskina, Alf Hilat – mille ruses arrachent définitivement les pieds du sol. Gang Sound Mbirika transporte le voyageur au-delà des frontières et renouvelle la magie.

Spiritualité, échange, africanité. « Ici on dessine un jardin » dit celui qui est parrain de ce Festival du bout du monde Taragalte « Under the stars » « C’est l’oralité, la transmission, l’indépendance. Il y a cette tolérance cette liberté dans cette expression dans la musique. Une diversité qui s’impose à l’Occidental que je suis et ma tête est légère ». Ici, la poussière se dispute à l’authenticité. « Cette poussière qui entre partout et que l’on transporte dans nos valises et nous sommes tout de suite séduit. On est sûr qu’il y a un bien être en Europe alors que la vraie richesse, elle est là, en Afrique. Ce festival c’est une sorte de Jama el fna (patrimoine mondial de l’Oralité) sur une mer de sable » ajoute le natif de Marrakech. « Tout est là ! Les premières notes de mon enfance sont là. Les premières notes de Tam Tam. Les premières notes de Gembri sont là. Et quand j’entends les Gangas à M’hamid el Ghizlane, j’entends ce son qui ravive mon âme et me fait penser à ce gamin qui découvre les deux sons différents. Et puis, cet instrument avec des cases qu’est-ce que cette magie ?! ». Une magie toujours renouvelée qui invite au voyage tri dimensionnel, une poetic trance !

https://www.azizsahmaoui.com

Ecrit par Lawrence Damalric

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