#Interview Fred Hersch « Je reviens de loin » 

Diagnostiqué séropositif et soigné en 1986, une rechute en 2008 laisse le pianiste américain Fred Hersch entre la vie et la mort. Sorti d’un long coma artificiel suivi d’une intense et difficile rééducation de tout son corps, ses doigts retrouvent les touches du piano, des doigts fragiles  qui réussissent à enregistrer la première œuvre d’un ressuscité. Avec une dizaine de musiciens et des images virtuelles, ce sera « My Coma Dreams », un mélange de rêves, de bribes de cauchemars, d’hallucinations et de situations délirantes.

Depuis, une autre page s’est tournée pour celui qui commença sa carrière avec Stan Getz, Charlie Haden et beaucoup d’autres. De nouveau des tournées, des concerts dont certains en faveur de la lutte contre le sida ainsi que des Masters Class, dont une qu’il affectionne sur les hauteurs de Nice, sous les oliviers du village de Coaraze. Récompensé par l’Académie Charles Cros, le prolifique compositeur aime évoquer ses multiples influences qui ont jalonné sa carrière. Nous l’avions rencontré en Juillet dernier au Nice Jazz Festival.

Fred Hersch : On parle souvent de celle de Bill Evans, c’est un raccourci facile, car dès ma jeunesse ce fut avec Mingus et Miles Davis, mais si on reste piano, surtout pour le son, il y a Herbie Hancock, Ahmad Jamal…, je suis curieux, attentif, j’ai joué par exemple en référence aux compos de Antonio Carlos Jobim et de Billy Strayhorn, l’arrangeur de Duke Ellington.

Dans votre enseignement vous insistez sur deux mots « Son et Rythme » pourquoi ?

Fred HerschLa musique est le son à l’intérieur du rythme, vous le trouvez dans la façon de toucher le piano, l’espace entre les notes, leurs longueurs, la dynamique du jeu, la couleur de la mélodie… Beaucoup d’artistes jouent bruyamment et rapidement et le public est impressionné, c’est divertissant, mais la tendresse où le dramatique par exemple n’entrent pas toujours en jeu, où si vous utilisez toujours le même son, ça peut devenir ennuyeux.

Vous aimez jouer souvent en solo, pour quelle raison ?

Fred HerschOn raconte une histoire différente à chaque fois, on est le maitre, en duo on doit écouter l’autre et être prêt a une certaine osmose sur le thème prévu, quant au trio c’est une histoire d’émotion du moment… Moi j’essaye de ne pas être une machine, à chaque concert des paramètres apparaissent, il faut être attentif  par exemple, à la sonorité du piano, les spectateurs, le choix du répertoire de ce jour-là et mon état d’âme psychique et physique du moment bien sûr qui jouent un rôle essentiel sur la finalité du concert… Mon travail de sideman m’a beaucoup appris pour la façon de construire ces solos, l’importance de la mélodie, ça m’a aidé à rentrer dans les compositions de celui que l’on accompagne où de découvrir s’il a mis des « paroles » ou pas comme le faisait Thelonious Monk, mais désormais j’espère « sonner comme moi » que l’on reconnaisse en toute modestie bien sûr le son Fred Hersch

En dehors des spécialistes de jazz, le grand public ne sait pas qu’il est l’un des rares musiciens qui maitrisent le contrepoint improvisé, c’est-à-dire que son cerveau peut commander à chaque main l’interprétation de deux mélodies en même temps, une facilitée qu’il explique notamment par une certaine connaissance de la musique classique.

Fred HerschJ’ai joué un peu de violon, j’aime écouter le violoncelle, lire en même temps les partitions de la musique classique, j’ai chanté dans une chorale, bref tout cela s’apprend, on commence à s’entrainer avec deux voix, il faut jouer au début très lentement et ne pas oublier qu’il est très souhaitable de visiter la musique classique…

Au quotidien quelle musique écoutez-vous ?

Fred Hersch :Un peu tout, mais j’aime la musique brésilienne, elle a son rythme unique, un répertoire très varié, on a l’impression que c’est toujours une invitation à la fête et moi j’en ai besoin.

Quels sont vos projets et que faites- vous en ce moment ?

Fred HerschJe finis d’écrire un livre… Je revois mes souvenirs d’enfance, mes débuts de musicien, mes rencontres pas seulement dans le jazz et comme le dit un philosophe japonais… à 60 ans on renait à nouveau… Alors j’essaye d’aller de l’avant, pour l’instant je peux me permettre de choisir mes concerts, mes déplacements et partager plus de temps avec mon compagnon qui m’a énormément soutenu depuis 17 ans et vous savez, avoir été aussi près de la mort et d’entendre les gens qui m’applaudissent… Je suis dans un autre rêve !

www.fredhersch.com

Ecrit par Jean-Pierre Lamouroux

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