JAZZ ET HISTOIRE : CNRR de Nice – Quand le Jazz fait ses classes

 

 

CNRR

Du 27 juin au 5 juillet 2015 sera célébré
le centenaire du conservatoire de Nice.
Une programmation de 13 concerts et
spectacles  présentés notamment par Eve
Ruggiéri de France-Télévision et Radio
Classique se déroulera au Conservatoire
National à Rayonnement Régional de Nice
Pierre Cochereau. Huit journées et soirées de
réjouissances festives touchant aux trois
spécialités (que sont la musique, l’art dramatique
et la danse) enseignées dans les vastes
locaux situés au 127 avenue Brancolar.
Avec ses 120 professeurs et assistants spécialisés,
on est loin de l’école municipale créée à
Nice par la pianiste Adeline Ballet en 1916. Elle
est alors logée dans le palais communal qui
accueille le siège de la bourse du travail.
L’augmentation du nombre d’élèves et des
disciplines enseignées conduit l’école à
changer de lieu en déménageant à la villa
Thiole, avenue Malausséna, dans les années
1930, puis à la villa Paradisio dans le quartier
de Cimiez, dans les années 1940. Sous
l’impulsion de Pierre Cochereau, directeur
depuis 1962, l’établissement devient un
conservatoire national, et quelques années
plus tard, conservatoire national de région.
Quand et comment le jazz a-t-il fait son
apparition au conservatoire de Nice? Il faut
remonter au milieu des années 70 pour voir
germer l’idée de la création d’une classe
dédiée au jazz. Nous sommes en 1976 sous
« l’ère Médecin » quand Jacques Carré, professeur
de percussions, évoque sérieusement
le sujet avec son ami Armand Cavallaro,
batteur de bigband qui dirigeait les revues
musicales du Casino Ruhl. Musicien niçois
confirmé cumulant derrière lui 10 ans d’Olympia,
ce dernier est un des personnages clé de cette
aventure. Monté à Paris pour « faire le métier »,
il s’est vite fait remarquer auprès des grands
noms de la chanson française. Barbara,
Aznavour, Brel, Fugain, tous ont loué son sens
de l’écoute attentive et ses qualités d’accompagnateur.
Le jazz, il le connaît sur le bout des
doigts. On dit de lui qu’il est le batteur préféré
de Sammy Davis Jr. Lui vous répondra modestement
par un petit rire amusé et confus qui
en dit long sur l’humilité du bonhomme.
Mais revenons à notre histoire. Jacques Carré
et Armand Cavalarro décident de tenter le
coup et s’entretiennent alors avec Pierre
Cochereau pour lui soumettre l’idée.
Précisons d’emblée qu’à cette époque l’idée
n’avait rien d’une évidence puisque aucun
conservatoire français n’avait encore fait
entrée le jazz dans ses murs ! Faisant preuve
de modernité et d’une grande ouverture d’esprit,
Pierre Cochereau accepte sur le champs et
demande à son futur professeur de batterie de
recruter une équipe d’enseignants. Les premiers
profs embauchés seront donc les
musiciens et amis d’Armand Cavallaro, ceux
qui animaient avec lui les revues musicales
du Casino Ruhl : André Borly, pianiste et chef
d’orchestre et Jacques Melzer, saxophoniste
et concertiste (élève de Marcel Mule). Ils
seront bientôt rejoints par Gilbert Gassin à
la contrebasse ainsi que par Jean-Francois
Cagnon à la trompette. Pierre Cochereau
obtient immédiatement de la mairie de Nice
le soutien financier nécessaire à la création
de cette nouvelle section au sein de son
établissement. En effet Jacques Médecin est
favorable à ce projet, lui qui accueille depuis
1974 la Grande Parade du Jazz à Nice, ce
 » musée vivant de la musique afro-américaine,
cette Louisiane azuréenne où le jazz se
conjugue en famille, entre l’olivier centenaire
et le marchand de socca.  » – selon les mots de
J. Duclos-Arkilovitch.
Aussi les premières notes de swing résonnentelles
dans les salles de la villa Paradisio dès
la rentrée 1976/77. L’ambiance est studieuse
mais bon enfant. La transmission est essentiellement
orale comme c’est la tradition dans
cette musique. Il faut imaginer qu’il y a
quarante ans, la littérature pédagogique était
relativement maigre. Le jazz, on l’apprenait
sur le tas, en jouant sur les disques des grands
jazzmen, en allant « faire le boeuf » soir après
soir et surtout en étant initié par les aînés
qui pouvaient jouer un rôle de passeur. Il y
a toujours eu dans l’apprentissage de cette
musique quelque chose d’artisanal, une
relation de Maître à Apprenti, un partage
permettant au disciple d’acquérir un savoirfaire
au prix de beaucoup de patience, de
sueur et de travail, et souvent dans l’ombre
tutélaire d’un plus avancé que lui.
Au cours de cette première année scolaire, la
toute jeune classe reçoit la visite impromptue
d’un invité de marque en la personne de Pierre
Bouteiller, célèbre journaliste de télévision et
de radio. Celui-ci est descendu à Cannes pour
couvrir le festival international du film. Ayant
entendu parlé de la création de la première
classe de jazz de France, il se rend à Nice pour
en savoir un peu plus et réalise une interview
pour le compte de France Inter. L’année
suivante, enthousiasmé par le projet d’un
big-band constitué par les élèves niçois, il
entreprendra de tourner un documentaire
intitulé « Le jazz au conservatoire de Nice« . Ce
court film d’un quinzaine de minute est un
touchant témoignage visible sur le site de
l’Institut National de l’Audiovisuel (INA)(2). Il
nous replonge presque quarante ans en
arrière à la façon d’une improbable machine
à remonter le temps. On y entend des élèves
parler de leur passion parfois très récente
pour le jazz. Tandis que l’une, âgée de quinze
printemps, évoque sa rencontre avec cette
musique, l’autre confronte sa pratique du classique dans un enrichissement
réciproque. Un troisième, plus
sceptique, argumente pour un choix définitif
ne permettant pas la demie-mesure. Tous
sont animés par la flamme du jazz et c’est
beau à voir.
Il est par ailleurs intéressant de noter que
dans l’esprit de ses fondateurs, la classe de
jazz était initialement réservée aux élèves
confirmés.
Il s’agissait d’une sorte de « carotte » destinée
à récompenser les musiciens les plus avancés
dans leur cursus d’études classique. Cela
placera ab initio la classe de Nice dans un
contexte d’excellence qui perdure encore
aujourd’hui si l’on considère la qualité
musicale indéniable des promotions annuelles
qui se sont succédées depuis ce temps.
Sortirons de ces classes des musiciens
d’envergure nationale et internationale tels
que Richard Galliano (que le monde entier
reconnaît comme le père de l’accordéon jazz),
Franck Amsallem (qui a enregistré avec le
gratin des musiciens new-yorkais), Bunny
Brunel (sideman de Chick Corea), Thierry Eliès
(pianiste de Dee Dee Bridgewater), Alex
Perdigon (tromboniste de Johnny Halliday),
Fifi Chayeb (sideman de Billy Cobham),
François Arnaud, Loic Pontieux, Didier
Guazzo, Christophe Gallizio, Tony Bonfils,
Denis Benarrosh et tant d’autres !
Dans les nouvelles générations, on retrouve
Bertrand Luzignant (tromboniste de Ben
l’Oncle Soul), Nicolas Viccaro (batteur d’Etienne
Mbappe). Tous se retrouveront du 27 juin au
5 juillet pour reformer un orchestre qui fera la
part belle au jazz et à l’improvisation dans le
cadre des concerts fêtant le centenaire du CNRR.
L’avenir du jazz azuréen semble extrêmement
prometteur et la classe niçoise n’en fini
d’ailleurs pas de produire les talents de demain.
Qu’on en juge plutôt avec l’accordéoniste
Vincent Peirani : prix Django Reinhardt 2013, il
vient de remporter les Victoires du jazz dans
la catégorie meilleur révélation de l’année
2014. Et ô surprise, l’excellent groupe qui
l’accompagne ne compte pas moins de trois
musiciens issus du CNRR de Nice : Tony
Paeleman (piano/Fender Rhodes), Julien Herné
(basse électrique) et Yoan Serra (3) (batterie).
Un bonheur n’arrivant jamais seul, il est en
lice pour les Victoires du jazz 2015 dans la
catégorie « artiste de l’année », aux côté de
Baptiste Trotignon et de Pierre de Bethmann.
Qui dit mieux? Le verdict qui sera rendu à Sète
le 24 juin nous est inconnu au moment où
nous écrivons ces lignes. Alors, Nice 1er de la
classe en jazz ? Ça se pourrait bien… Un grand
merci à Armand Cavallaro et à Christian
Pachiaudi pour les précisions historiques

Ecrit par Imago records & production
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