«La musique fait ici autant partie de la mort que de la vie» (Sydney Bechet) « Jazz funerals » est le nom commun utilisé pour désigner une tradition musicale funéraire unique à la Nouvelle Orléans, devenue populaire à la fin des années 1800.
Héritée des influences africaines des premiers esclaves (liberté retrouvée d’un esclave disparu) la musique et la danse servent à exorciser la mort travers une ambiance de fanfare ou de carnaval, afin de rendre hommage de façon vivante à la personne décédée. Les Jazz funerals ont fortement été influencés par le passé colonial de la Louisiane (tradition de fanfares militaires française et espagnole), par les églises afro-américaines, les pratiques vaudou (plaire aux esprits), les Mardis-Gras Indians (musique traditionnelle africaine et danse cathartique).
Louis Armstrong a apporté un nouveau son aux funérailles, parfois illustrées dans des films de James Bond ou dans la série américaine Treme. Rares chez les citoyens blancs de la ville, les Jazz funerals, autrefois réservés aux musiciens, se sont généralisés chez les Afro-Américains.
La procession funéraire est dirigée par un Grand Marshall qui insuffle le tempo au défilé. Suivent les fanfares appelées Brass-Band qui ouvrent la voie et accompagnent le défunt en jouant des airs solennels puis des compositions plus festives, suivies par le défilé de la « Second Line ». Les organisateurs des funérailles prévoient un Brass-Band dans le cadre des services, mais chaque famille possède des musiciens qui jouent dans le cortège en signe d’estime pour le défunt. Un Brass band est composé de cuivres (tuba, trombone, trompette) et de percussions (grosse caisse, caisse claire et cymbales). En suivant le corbillard tiré par 2 chevaux, la famille, les amis et ceux qui suivent commencent une marche lente, cadencée, au rythme de musiques sombres. Ils vont du salon funéraire jusqu’à l’église et au cimetière. Tout au long de la marche, l’orchestre joue des hymnes et des chants funèbres solennels, des gospels (« Just a closer walk with thee »).
Puis le Brass band entame petit à petit des musiques de plus en plus rythmées jusqu’à ce qu’elles deviennent festives. Les rythmes s’accélèrent et célèbrent le début de l’hommage au défunt. Les badauds et d’autres musiciens se joignent au cortège pour faire enfler les rangs du défilé. C’est la « Second Line ». Les gens commencent à danser sur des airs joyeux (« When the saints, go marching in »), certains brandissent des mouchoirs blancs et font tournoyer des parapluies, d’autres balancent leurs corps avec une liberté débridée au rythme de la musique de plus en plus sauvage, créant un état de jubilation.
Durant une semaine, la « Second Line » aide le défunt à faire son voyage jusqu’au paradis. La nature publique du spectacle renforce le sentiment de communauté parmi les participants. Symboles de la vie, de la mort, de la résurrection. J’ai le souvenir de musiciens faisant swinguer et tournoyer le cercueil de Milton Batiste, ou de Loïs (mère de James Andrews et de Trombone Shorty) dominant la foule en dansant sur le cercueil de son fils ! À l’enterrement de Fats Domino la « Second Line » organisée par James Andrews traverse le quartier pauvre du 9 ème arrondissement où a vécu Fats Domino. La foule suit, masse tentaculaire de fans et d’amis, des milliers de personnes essaient de se frayer un chemin.
Une musique délurée, syncopée, attaque fort, balance, emballe tout le monde sur son passage. Tous sont venus rendre hommage au Fat man, reprennent les succès entonnés par James et dansent au son de sa trompette et des fanfares, des cuivres, des tambourins, des joueurs de tuba. C’est un climat bon enfant, fait de recueillement, du plaisir d’être ensemble, et de cet instinct de fête indissociable de la Nouvelle Orleans. Les parasols virevoltent, les Mardis gras Indiens exhibent leurs plumes et arborent des habits flamboyants, des squelettes dansent et rigolent, des vendeurs ambulants de bière poussent leurs coffres à roulettes, la fumée des vendeurs de barbecue dérive au-dessus des têtes, les « Cats » agiles se déhanchent, perchés sur les toits des maisons et des voitures, les « Baby Dolls » vêtues de bleu en hommage à « Blue Berry Hill » paradent. Un chahut exubérant, un gumbo quoi! C’est fou, joyeux, communicatif. Spirit of New Orleans..
« A la Nouvelle Orléans, nous dansons même s’il n’y a pas de musique, nous buvons aux funérailles, nous parlons fort, rions, vivons intensément, et franchement nous nous méfions de ceux qui ne le font pas » (Chris Rose, Times Picayune, lauréat du prix Pulitzer)
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