#Jazz & #Latino

A l’époque où j’ai organisé de gros festivals latinos, le jazz et le latino ne se mélangeaient pas et souvent le jazz regardait d’un air méprisant les festivals latinos.

Puis avec l’engouement pour cette musique, d’abord la brésilienne et ensuite la cubaine et autres musiques d’Amérique Latine, les festivals de jazz ont aussi programmé des musique latines. Quand j’ai organisé les concerts de musique dites populaires du Brésil (1984) et que cela a très bien marché, le Festival de Jazz de Nice a tout fait pour que ça ne puisse pas se reproduire et a intégré des groupes latinos à sa programmation. Depuis tous les festivals de jazz ont intégré les latinos à leur programmation.

Trois grands noms latinos : Gilbert Gil, Chuccho Valdes et Roberto Fonseca

A la rencontre de Gilberto Gil

Quand la ville de Nice voulut faire un festival brésilien, parce que jumelée avec Rio et fêtant le centenaire de Carnaval. J’eus alors la chance de me retrouver dans l’équipe organisatrice de cette manifestation car j’avais créé une association, Les Alizés, qui produisait beaucoup de brésiliens. Me voilà partie avec la délégation de la ville de Nice ! L’école de samba mais aussi les grands chanteurs brésiliens : Yvette Hancy qui était alors conseiller municipal déléguée à la musique m’accompagna au concert de Gilberto Gil à Sao Paulo et à la fin du concert nous ne pensions plus qu’à une chose : inviter Gilberto Gil ! Nous n’eûmes pas trop de mal à le convaincre mais nous étions très fières quand nous avons réalisé  qu’il était un des plus grands !

La naissance d’un artiste

Né à Salvador le 29 Juin 1942 d’un père, Joseph Moreira, médecin à l’Université de Bahia et d’une mère, Claudine Passos, professeur. La famille s’installe dans la petite ville de Ituaçu. Il y passe son enfance à écouter les programmes d’Ari Barroso à la radio et les improvisations des guitaristes aveugles qui jouaient au marché et qui le fascinaient. A trois ans, il voulait déjà être musicien et à 8 ans, il commence à jouer de l’accordéon « le forro est la musique de mon enfance… C’est Luis Gonzaga, grand chanteur et compositeur très populaire qui m’a donné envie d’apprendre l’accordéon ». Ses parents l’emmènent au Carnaval de Bahia et il est ébloui par le premier trio electrico qu’il voit : il joue déjà de la batterie, et aussi la trompette en apprenant d’oreille la musique de Bob Nelson qu’il entendait à la radio. Adolescent, Gil fut impressionné en entendant Joao Gilberto chanter « Chega de Saudade » à la radio : on lui offre une guitare et il apprend à jouer et chanter comme son idole.

Il monte un groupe «  Os Desafinada Dos ». Après une expérience dans la publicité il rencontre Caetano Veloso et Gal Costa et de leur rencontre naîtra le Mouvement Tropicaliste « au milieu des années 60, s’est formée à Sao Paulo une scène d’avant-garde avec des artistes qui s’intéressaient aux musiques traditionnelles du Brésil mais aussi au rock américain et à la pop anglo-saxonne. On portait les cheveux longs, on s’habillait hippie, on écoutait les Beatles, Frank Zappa… Notre bagage classique nous a permis de tout mélanger. Après le coup d’Etat et la chape de plomb conservatrice imposée par les militaires, ce brassage est devenu une démarche militante, une façon d’intégrer la culture mondiale à partir de  notre culture locale. Le mouvement tropicaliste fut bref mais il a révolutionné la musique brésilienne… Pour moi, il est devenu un état d’esprit : j’étais tropicaliste, je reste tropicaliste, et je mourrai tropicaliste », c’est ce que dira Gil en parlant de son opéra Amor Azul qui fait le lien entre l’Inde Millénaire et le Brésil d’aujourd’hui » a-t-il dit  récemment.

Amis à la scène comme à la scène depuis leurs débuts, Gilberto Gil et Caetano Veloso partagent la même conception esthétique de la musique pop : ils vont faire avec « Tom Zé et les mutants », cet amalgame de rythmes traditionnels et de sons psyché qui deviendra le manifeste musical de deux années de protestation contre la dictature jusqu’à leur incarcération en 1968 sous prétexte de manque de respect à l’hymne national et leur exil en Angleterre l’année suivante. Gil venait de commencer sa carrière solo avec « Aquele Abraço » : ce mélange de samba et de bossa-nova, de rythmes folkloriques et de musiques anglo-saxonnes étaient révolutionnaires : Succès éclatant ! Mais son élan est stoppé quand en 1968, il est arrêté par le régime dictatorial comme Caetano : ils sont considérés comme un danger ayant une mauvaise influence sur la jeunesse brésilienne ! Emigré à Londres en 1969, il a la chance de travailler avec les plus grands comme Pink Floyd, Yes, ou Rod Stewart. A son retour, il ira de succès en succès : le MIDEM avec Ao Vivo et surtout l’album avec Jorge Ben « Gil et Jorge », véritable anthologie.

Puis l’album « Refenzada » : simplicité rustique et poésie intense ! Gil est à la fois brésilien et ouvert aux influences musicales glanées au cours de ses séjours à Londres, en Afrique, à la Jamaïque, et aux USA. Sans perdre son identité bahianaise, il développe aussi les thèmes de la négritude après son voyage en Afrique en 1977. Il élargit son univers rythmique et devint celui qui divulgue le reggae au Brésil, ainsi que la langue « ioruba ». La sonorité des Antilles se mélange aux et à un sentiment mystique qui transforme Zumbi en « saint patron et guerrier ». La fusion se poursuit dans la chanson du fil « Quilombo », présenté à Nice, où une percussion marque l’« afoxé », un rythme bahianais très répandu tandis que les paroles très jouissives célèbrent la plaisir, la joie et l’abondance des peuples du Quilombo. Sa carrière le conduit dans tous les grands festivals et ses convictions écologistes le conduisent vers le poste de Ministre de la culture.

Un musicien rempli d’honneur

Il reçoit aussi le Prix Nobel de musique et est nommé Grand Officier de la Légion d’Honneur à Paris. Quand il vient en 1984, participer au Festival Brésilien de Nice, et qu’ensuite il fit une tournée importante avec les Alizés, je me suis aperçue de l’importance qu’avait pour lui la cause des noirs ; bien qu’il n’ait pas souffert du racisme dans son enfance, ce n’est d’ailleurs que lorsqu’il acquiert la célébrité qui aborde le thème de la Négritude : un incident me le révéla car quand je lui ai présenté ma mère qui est antillaise de couleur, quelle ne fut pas sa stupéfaction et il s’écria : « E criola ? et me reprocha de ne pas lui avoir dit avant !

Gil a toujours prêché pour un cosmopolitisme moderne :

« La couleur noire est comme un combustible lumineux et vibrant, qui fournit une énergie tellurique. Elle désigne principalement le métissage qui s’opère de plus en plus dans le monde d’où le mélange des rythmes de danses, reggae, junk, afro-jazz, pop, rock smab, baio, et ijexa (rythmes régionaux brésiliens), en mettant à profit la richesse culturelle de son identité afro-brésilienne au lieu de le limiter à son appartenance raciale ».

Ce sont ses paroles en 1982. Il revient en France en compagnie de ses fils Ben et Joao et de sa petite fille Flor ; tous d’excellents musiciens et nous aurons la chance de les entendre cet été au Festival Jazz à Juan, le 16 juillet 2022.

Chucho Valdes, Une grande figure du jazz

Celui que le New York Times appelle « un des plus grand pianiste virtuose du moment, »  pour un autre magazine, « le plus complet ». Une famille dont l’univers musical l’a aussitôt  fait entrer facilement dans tous les styles : un pur produit de l’école cubaine en tous les cas : Il incarne ce qu’un autre Caribéen, le philosophe martiniquais, Edouard Glissant appelle le Tout-monde. Rien à voir avec le conformisme de l’universel ni l’uniforme du métissage ! A 3 ans il jouait déjà des mélodies  et à 5 ans il commence des cours qui le conduisent au conservatoire à 14 ans où il étudie aussi l’harmonie, le contrepoint et l’orchestration. Son sens de la mélodie est développé par son père Bebo Valdes, maître de la musique cubaine. Il débutera dans son groupe d’ailleurs Sabor de Cuba avant qu’il ne s’exile.

Avant que son père ne parte il travaille dans le cabaret chic où ce dernier est directeur artistique Le Tropicana où il fallait tout faire ; du classique à l’accompagnement des vedettes de passage comme Sarah Vaughan ou Nat King Cole et, aux fantaisies brésiliennes d’Ary Barroso ! Chucho préfère rester à Cuba, et devient chef de famille à 19 ans mais aussi la vedette du label Egrem en développant ses propres projets. Il crée différents groupes ; son combo le « Orquestra cubana de Musica Moderna » et enfin «  Irakere » qui  devient le premier avec son « Bacalao con Pane » au groove bariolé !

Son groupe obtient un premier Grammy Award : il l’imposera dans le monde entier et renouvellera cette formation pendant un quart de siècle. Il est sélectionné en 1972 dans les cinq meilleurs pianistes de jazz au monde par un jury comprenant Duke Ellington, Miles Davis, Dave Brubeck et Count Basie ! Et il obtiendra 5 Grammy Award Chucho  fera aussi des solos puis des duos avec les meilleurs : Herbie Hancock, Michel Legrand, Chick Corea, Michel Camilo… et signe désormais de son nom ses disques  qui font la synthèse de soixante ans de musique : il aura creusé de nombreux sillons et fait jaillir un univers de toutes les couleurs. Il ose remplacer la batterie par le tambour  bata, : il enregistre le disque Jazz Bata qui est une petite révolution : il y expérimente l’hybridation  de rythmes hérités des traditions africaines avec des improvisations de jazz  autour des tambours bata, percussions  sacrées de la culture yoruba. N’oublions pas son rôle aussi dans la création du Festival de jazz de La Havane !

Impossible de le cerner « le pianiste le plus complet du monde » dira un magazine de jazz.

« Une vision polymorphe où le jazz entre en transe, où le funk se joue en version latine, où le bon vieux swing se conjugue avec la clave si typiques ».

Pour ses 80 ans il fait la Philharmonie de Paris. Il revient cette année au Festival Jazz à Juan, le 12 juillet 2022, avec son ancien acolyte Paquito de Ribeira : 60 ans d’aventures partagées, un nouvel album « Missed you too », un réel plaisir de se retrouver où se mêlent les anciens succès, les standards de latin jazz et les compositions originales. 

Roberto Fonseca  La nouvelle coqueluche du piano jazz

Né à La Havane en 1975 d’un père batteur et d’une mère chanteuse avec deux frères musiciens, on peut dire qu’il a vécu dans un environnement musical ! Il fait des études musicales et se spécialise en composition. Il commence avec la percussion qu’il délaisse pour le piano qu’il fait avec passion ; A 15 ans déjà il fait le festival Jazz Plazza. Quand il fait son premier album « En el comienzo », il gagne le prix du meilleur album de jazz cubain en 1999, et en 2000 le prix du Latin American and Caribbean Music Tribune dans la catégorie Musique Populaire  pour « Para que no hables ».

Ensuite, il sort deux albums solos « Tiene que ver » et « Elengo » qui allient le latin jazz, les percussions, la basse, le hip-hop, la musique cubaine et les rythmes afro-cubains. En 2001, il part au Japon pour enregistrer son album « No limit : Afro Cuban Jazz ». En rentrant, il intègre le célèbre groupe de Buena Vista Social Club. C’est alors qu’il parcourt le monde entier : Canada, France, Colombie et Espagne Il va faire tous les grands festivals souvent avec des productions originales comme en 3021 à Marciac avec un chœur bulgare. Cette année, il va proposer un concept très original à Jazz à la Villette : reconstituer le cabaret cubain. La Cabane des années 30 à Montmartre et revenir aux rythmes anciens !

Ecrit par Françoise Miran

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