#Jazz & #Litterature : Frank Zappa Le Jazz et les Mothers

Zappa jouait-il du jazz ? Sujet polémique traité de nombreuses fois. Toutefois la parution récente de l’ouvrage de Christophe Delbrouck au Castor Astral Les extravagantes Aventures de Frank Zappa, Tome 2 incite à replonger dans l’œuvre du grand Frank.

Zappa jouait-il du jazz ? Il suffirait de lister ici tous les musiciens qui sont passés au sein des Mothers of Invention, puis des Mothers tout court pour s’en persuader. George Duke, les Becker Brothers, Tom et Bruce Fowler, Chester Thompson pour n’en citer que quelques-uns. À parcourir les quelques 400 pages du livre de Delbrouck qui retrace la période allant de l’incendie Smoke On The Water de Montreux (déjà un lieu jazz) en 1971 à la sortie de l’album Sleep Dirt, en février 1979, on ne peut que s’en persuader. L’attaque qu’il subit au Rainbow Theatre de Londres en décembre 1971 (un illuminé jaloux, le tabasse et le jette dans la fosse d’orchestre, une jambe et un poignet brisés), tout son matos a brûlé sur les bords du lac Léman quelques jours auparavant vont lui laisser du temps pour composer, écrire de nouveaux arrangements et à faire passer son groupe de rock progressif (?) à un big band de jazz (à part !).

Il aime écrire pour de grandes formations, la transition se fera par là, pour certains exégètes zappaiens. d’autres diront que dès Uncle Meat en 1969, les prémisses étaient là. Quant à Hot Rats, quelques mois plus tard, première collaboration avec le violoniste Jean Luc Ponty, il signe les bases d’un jazz fusion en devenir ; quelque temps avant le Bitches Brew de Miles Davis.

Mais revenons dans les 70′, Zappa adopte le tout nouveau Moog dont il adore les possibilités et recrute George Duke pour en jouer parmi ses claviers. 1972, Waka/Jawaka sort en été avec le fameux Big Swifty qui ouvre l’album. Duke racontera bien plus tard à Keyboard Magazine : « On était en train de faire un album de jazz moderne ! Frank ne voulait pas l’admettre. Je lui disais : C’est du jazz ! Et il me répondait, mais non pas du tout ». Si c’est lui qui l’affirme, on va le croire, mais pourtant, le solo de guitare, de 5’45 à 13’18 », soutenu par la trompette de Sal Marquez (sideman de Buddy Rich et Woody Herman) en est une démonstration flagrante.

On ne va pas examiner chacun des albums, chacun des titres composés depuis. Christophe Delbrouck le fait de façon très documentée, mais on va s’attarder sur le Roxy & Elsewhere, dont on vient de découvrir en 2018, l’intégrale des concerts et répétitions dans le coffret 7 Cd The Roxy Performances. Somme monumentale qui nous permet de plonger au cœur du processus de création du maître et de répondre, une nouvelle fois, oui, Zappa faisait souvent du jazz, ou du moins pour reprendre les propos de Delbrouck, des innovations jazzistiques dans l’écriture et la direction d’orchestre.

On retrouve le Big Swifty déjà cité, mais aussi le bien nommé Be-Bop Tango (Of The Old Jazzmen’s Church) décliné en trois versions qui peuvent s’étendre jusqu’à 15 minutes et autoriser toutes les facéties zappaiennes (Give them the word « Jazz », dit-il au public) et les chorus sublimes, le trombone de Bruce Fowler, les performances vocales et au ténor de Napoleon Murphy Brock. L’inventivité est de chaque instant qui les fait enchaîner sur Green Onions et le solo de Gibson avec wahwah. dans Inca Roads, les claviers de George Duke sont impériaux dans la finesse et le Groove. Mais celle qui surplombe tout le monde, c’est Ruth Underwood, derrière son vibraphone. C’est la composante majeure des Mothers, pourtant de l’aveu même du leader, les partitions qu’il lui fait jouer sont d’une grande complexité.

On voit même dans le DVD sorti en 2015, Zappa se rendre derrière la percussionniste et esquisser un petit duo avec elle. Bien sûr, guitariste avant tout, Zappa n’oublie jamais, le rock, le blues. On l’entend fort bien dans One Size Fits All qui suit un an plus tard. Can’t Afford No Shoes (boogie), Po-Jama People, San Ber’dino (blues à la slide) nous le font entendre avec bonheur, celui du plaisir de jouer qu’a le groupe. C’est aussi, ils ne le savaient pas encore, un chant du cygne, puisque c’est le dernier album des Mothers, si on excepte le très spécial Bongo Fury avec Captain Beefheart qui mériterait, un article à lui tout seul, mais pas dans ces colonnes. Mais, les très nombreuses et régulières publications de la Zappa Family Trust nous permettent d’avoir encore beaucoup d’albums, live, studio, bricolage, collage pour satisfaire notre soif de Zappa avec (ou sans) ses Mothers.

Conclusion provisoire :
Zappa jouait il du jazz ? Il semble donc que oui, pas tout le temps, mais souvent tout de même. Et, les récentes productions du pianiste Stefano Bollani, Sheik Yer Zappa (2014), du vibraphoniste Marco Pacassoni Frank & Ruth en 2018 ou le prochain double album de Thierry Maillard en big band, laissent à penser que Frank Zappa inspire encore les musiciens de jazz, et par là même, les amateurs de cette musique que nous sommes.

Christophe Delbrouck Les extravagantes Aventures de Frank Zappa Tome 1

Christophe Delbrouck Les extravagantes Aventures de Frank Zappa Tome 2

www.castorastral.com

Ecrit par Jacques Lerognon
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