#RIP #Jazz & #Politique : Pharoah Sanders has a master plan

1966, la société américaine, rongée par les tensions raciales sociales et politiques, est en pleine mutation, radicalisation des luttes, mouvements pour les droits civiques éparpillés sous la pression les autorités. Le Black Panther Party  lance la deuxième phase du Mouvement pour la Liberté. L’Amérique de l’oncle Sam est entrée de plein pied dans la guerre du Vietnam. Des hommes meurent. Cette guerre divise, mais révèle une nouvelle génération d’américains multiraciale, multiculturelle, en recherche d’un ailleurs mental.

Musicalement, le chaudron du Jazz académique déborde d’improvisation dans sa plus libre écriture avec le free en quête d’expérience psychédélique. Mais le free jazz porte la colère sociale toujours plus chaotique, plus imprévisible, plus politisée, toujours plus profane. L’apparition du Spiritual jazz va apporter un souffle nouveau en s’emparant du Sacré. Une Révolution qui va transfigurer le chaos en élévation mystique entre les mains de l’un de ces plus libres compositeurs, le saxophoniste Farell Pharoah » Sanders, maitre incontesté du genre. Dès ses débuts, Sanders ne compose pas ni avec les accords ni avec la mélodie. Avec Sun Ra qui le surnomme Pharoah, le saxophone ténor hurle et déchaine une puissance inimitable. Comme John Coltrane, son mentor, le saxophone de Sanders sera le seul soufflant, la seule Voix ; le souffle Roi dont l’ambition est de capturer la Promesse et le chaos de la Révolution. « The Creator has a master plan » dans l’album « Karma » (1969) est son manifeste. 

Pour comprendre l’histoire et la dimension politique de la musique de Pharoah Sanders, il faut plonger dans ses racines africaines et dans celles des États unis où il a grandi, le rhythm & blues puis le jazz universel desquels il a va s’émanciper tout en gardant à l’esprit la réconciliation des deux rives de l’atlantique, son credo. Chez Pharoah Sanders, la musique est une célébration, une force, un absolu qui doit unifier à la fois le monde et les hommes. En pleine tourmente sociale, le saxophone  ténor développe des thèses hors temporalité au service d’une liberté commune. Pharoah prophétise la foi en l’Un Créateur, l’unité, l’Amour, la Paix pour tous, sans jamais orienter son discours musical. Sa Musique, largement syncrétique, invoque une fusion totale des religions: Islam, Christianisme; mythologies de l’Inde, l’Afrique, de l’Egypte. Cette Egypte ancienne nouvellement éclairée d’Africanité par les travaux de l’historien et homme politique sénégalais Cheikh Anta Diop. Les titres sont sans équivoque. « Summum Bukum Umyun » en langue arabe. « Tauhid » (1966) fait référence à un concept musulman d’unité divine et plus largement « Thembi » (1971) qui dit, selon les notes de l’album, l’Espoir, la Foi, l’Amour. « Thing about the One, Prince of Peace, Jewels of Thought, Wisdom Through, Welcome to love, Crescent Love, Message from home, Save our children ». Le saxophoniste est un messager du Bonheur au cœur de son ouragan mystique.

Les influences et les collaborations avec Leon Thomas, chanteur inspiré, nourrissent sa détermination. Profondément spirituelles, la pensée et l’esthétique dévoilées par Pharoah Sanders s’apparente à une religion dont il serait le Gourou. Tenue vestimentaire ostentatoire, végétarisme, cour fidèle et nombreuse; sa religiosité affirmée est un retour aux valeurs humanistes, à la nature, au pouvoir du rêve et de l’utopie alors que la sombre période que traversent les Afro-Américains aux États-Unis n’est pas terminée. Pharoah Sanders n’a pas de chapelle, mais un panthéon musical riche et universel. « Dieu seul me voit » – « J’aime toutes les religions pourvues qu’elles parlent d’un seul et unique Créateur » affirme celui qui rêve d’être œcuménique et universaliste. Sa musique doit transfigurer la colère sociale en un chant cosmique et rédempteur. Mais à la différence de Coltrane, son père spirituel, chez Pharoah Sanders on a l’impression d’entendre un ailleurs. Avec lui, la musique est une célébration, une force, un absolu qui unifie à la fois le monde et les hommes. Tel « Ocean Song » qui suggère cette méditation lyrique, ce lien étroit entre la terre ancestrale et ses enfants plongés dans le chaos du Nouveau Monde. 

Le Free est catalyseur de culture, d’identité, de conquête politique, d’émancipation sociale; le jazz mystique va modifier ce champ lexical et introduire les notions de tolérance, d’unité, de divin. Pétri d’influences multiples, d’une déclinaison jazzy pertinente où afflue free jazz, jazz psychédélique, jazz fusion, ethno-jazz et world musique, la musique de Pharoah Sanders est un jazz conscient. 3 albums, « Karma, Thembi, Black Unity », pourraient définir le cadre esthétique et idéologique de l’artiste, mais ils seraient très réducteurs pour ce géant discret, légende vivante du jazz mystique, qui affiche 50 ans de carrière, 29 albums dont 11 chez IMPULSE ! Records label clé du Spiritual jazz.

À ce jour, « Karma » reste la clé de voute céleste d’un jazz mystique.

Ecrit par Lawrence Damalric
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