Avant dernier jour pour cette magnifique fête du jazz que nous offre l’association « Jazz à Junas » pour le trentième anniversaire de cette manifestation. Et Alex Duthil (qui vient de fêter ses 40 ans de radio sur France Musique et qui continue sur cette antenne Open Jazz) définit bien cette ambiance particulière : « Il y a une chaleur humaine ici, il n’y a rien qui relève d’une machine ».
Le rendez-vous habituel, 18h place de l’Avenir, les cigales sont toujours omniprésentes pour accueillir le contrebassiste Basile Rahola et son quartet. Une des belles histoires que génère Junas, comme le rappelle Fabrice Manuel, un des organisateurs. Le musicien nous l’avait expliqué la veille :
« Pour moi, c’est très important d’être sur scène ici, puisque je suis né à Junas, j’ai assisté à toutes les éditions du festival, mes parents m’y emmenaient depuis que je suis tout petit. Ce qui est génial à Junas, c’est que tout est gratuit quand vous avez moins de 16 ans, et cela, cela a été très important pour moi c’est une des raisons pour lesquelles je joue de la musique, cette facilité à écouter tant de musique à côté de chez moi. Cela va être très émouvant, c’est un aboutissement personnel. »
C’est en compagnie de Pierre Hurty à la batterie, Matthias Van den Brande au saxophone et de Wajdi Riahi au piano qu’il va, pendant une heure, égrener ses compositions et celles de ses amis. Des nuances chaudes, des solos inspirés, on retiendra particulièrement la fluidité du piano. Ce quartet a beaucoup écouté les anciens, et avec infiniment de respect, imagine des chemins de traverse d’une spontanéité rafraichissante. Le ton est soyeux et joyeux tout à la fois.
C’est aussi un quartet qui entame la soirée dans les carrières. Lars Danielsson, magistralement entouré de Magnus Oström à la batterie, Grégory Privat au piano, John Paricelli à la guitare, va nous emmener très haut dans les étoiles qui commencent à allumer le ciel. Le pianiste nous raconte sa rencontre avec le leader du groupe :
« La rencontre avec Lars Danielsson, c’est grâce à nos agents respectifs, Lars cherchait un pianiste, il est tombé sur ce que je faisais. Ça a été très rapide, on s’est rencontré chez lui à Copenhague. Moi, je m’étais préparé, il voulait qu’on fasse une jam, mais j’avais travaillé ses compositions. La semaine suivante, on était sur la route et en tournée en Pologne. C’est particulier, car c’est un musicien que j’écoutais lorsque je faisais des études- une école d’ingénieur- j’étais fan de sa musique. Aujourd’hui je joue avec lui c’est un grand honneur. Et avec les autres musiciens aussi. »
Le projet s’intitule « Liberetto » et leurs interprétations vont effectivement libérer les sons- mais aussi le public- de la pesanteur terrestre. De « Nikita’s Dreams » à « Secret Of Katanga », les musiciens rivalisent d’images sonores comme dans le magique « Passacaglia » où la légèreté des mains du pianiste s’allie aux baguettes endiablées de Magnus Oström, mythique batteur du groupe E.S.T., qui n’a rien perdu, ni de son énergie, ni de son inventivité. Et à chaque morceau ou presque l’archet de Lars Danielsson qui imprime de multiples tonalités du folk au rock, en passant par un jazz très mâtiné de musique savante et classique.
Avant le dernier groupe, laissons Didier Pennequin (Couleurs Jazz, Jazz Gazette), qui aime à filer la métaphore culinaire nous expliquer brièvement mais avec beaucoup d’humour sa vision de Jazz à Junas :
« Junas cherche toujours quelque chose d’original ; l’année dernière la crème du jazz anglais – et non pas la crème anglaise… – ce soir on a l’omelette norvégienne. Le festival recherche toujours des groupes différents, qui ne sont pas toujours grand public mais qui restent jazz. Et que l’on n’entend rarement voire jamais dans les festivals de l’année. Les autres, pas tous, mais c’est la jauge, la jauge avant tout. »
Cela introduit à merveille « Khmer »,
projet du norvégien Nils Petter Molvaer. Beaucoup de monde sur scène, Eivind Aarset à la guitare, le DJ Jan Bang aux samplers, Pâl Nyhus aux platines Audun Erlien à la basse Per Lindvall et Rune Arnesen à la batterie.
Un projet déjà présenté il y a plus de vingt ans dans ces mêmes carrières, le mot fidélité a un sens dans cette manifestation. Une musique là aussi savante, une fusion entre jazz et musiques électroniques. Le public est happé par un solo épuré de Nils Petter Molvaer à la trompette, vite appuyé par des live samplings, d’abord discrets, puis qui prennent de plus en plus de place.
C’est une musique libre qui fait la part belle au métissage, le pop, le rock, et bien entendu les rythmes jazz se glissant habilement entre les boucles électroniques. A moins que ce ne fût le contraire. Fusion. Un jazz expérimental, encore avant-gardiste plus de 25 ans plus tard. Des univers musicaux que l’on pourrait imaginer à l’opposé mais qui s’enlacent et se complètent. A méditer !