#LiveReport : Festival Les émouvantes Partie 2

Retour au théâtre des Bernardines, le temps fraîchi et la pile de Jazzophone diminue. Il reste encore deux soirées de découvertes pour le chroniqueur et donc quatre concerts alléchants dont le final ébouriffant le In Spirit solo de Claude Tchamitchian et le Lady M de Marc Ducret.

Jeudi 20 septembre

19h. Duo Philipe Deschepper & Michel Godard

Troisième duo du festival et pas le moins étonnant. Michel Godard rentre sur scène avec son serpent. Nous ne sommes pas place Jemaa el-Fna mais bel et bien dans le théâtre des Bernardines et ce serpent est un instrument de musique ancestral, en bois, en forme de… serpent.

Non loin de lui trône un tuba au reflet bleu, attendant son tour. Côté jardin, Philipe Deschepper est plus simplement venu avec sa guitare électrique et quelques pédales.

Une longue discussion improvisée entre les deux musiciens, entre les deux amis. Le grave du serpent ou du tuba répondant aux cordes cristallines de la guitare. Pas d’artifice dans ses improvisations, juste le plaisir de jouer ensemble et de partager avec le public ce moment d’échange.

21h Régis Huby Sextet

Le projet « Unbroken » du violoniste Régis Huby est construit autour d’un double trio. Le premier au centre, purement acoustique, violon (Huby), Atsushi Sakaï au violoncelle

et Guillaume Roy à l’alto,

règle la cadence, forme la structure. Ils sont entourés d’un percussionniste (on retrouve Michele Rabbia), d’un guitariste électrique aux multiples effets le norvégien Eivind Aarset et de Jan Bang qui derrière ses machines, ses samplers, capte, triture et réinjecte les sons. Rien n’est écrit au départ nous dira plus tard le violoniste. Le trio à cordes, trio IXI, joue ensemble depuis plus de quinze ans,

ils se connaissent bien, ils savent s’écouter et rebondir sur une idée, une petite phrase musicale, le passage soudain de l’archet aux pizzicati

ou même au taping (façon heavy metal) sur le violon ou l’alto. Dès les premiers instants, la musique prend forme, puis elle se distend pour mieux se ramasser sur un coup de baguette qui gifle une cymbale. Une fois de plus, dans ce festival, l’envoûtement est total.

La poésie de « Unbroken » dont on ne sait où elle va mais qui nous entraîne vers des endroits magnifiques où seule la musique peut nous mener.

Vendredi 21

19h. Claude Tchamitchian « In Spirit« 

Pas de duo pour ce dernier soir mais le projet contrebasse solo de Claude Tchamitchian. Le directeur artistique laisse place au musicien, au compositeur à l’interprète.  La contrebasse dont il va jouer, fût celle de Jean-François Jenny-Clark, il en est l’heureux dépositaire, nous explique-t-il.

Une suite en quatre mouvements intenses, puissants d’où l’émotion sourd à chaque instant. Il joue de tout son corps, la tête penchée vers les cordes, la main gauche étirée au possible en des accords vertigineux.

Quand un seul archet ne suffit pas, pour « Memory« , il en prend deux, chacun jouant sa partie frottant les cordes par-dessus mais aussi par-dessous.

Heureusement la troisième parti « In Childhood » est plus virevoltante, elle permet aux spectateurs de reprendre souffle pour mieux aborder « In life » dernière suite qui clôturera ce set. Claude Tchamitchian, lui, ne reprendra souffle que bien longtemps après avoir posé son instrument car la performance artistique se double d’une véritable performance physique digne d’un sportif de l’extrême. Après des applaudissements fournis, un sourire éclaire le visage du contrebassiste.

Quant à sa musique, elle flottera encore de longs instants entre la scène et les gradins

21h Marc Ducret Ensemble

A peine remis de ces émotions spirituelles, les neuf musiciens du groupe de Marc Ducret prennent place sur scène , tous vêtu d’une robe noire au bas évasé version gothique-punk d’une soutane de clergyman. Ils vont nous faire vivre; Lady M, la version conçue, écrite et composée par Marc Ducret de Macbeth, la mythique et maudite pièce de Shakespeare.  Plus particulièrement (Révisons nos classiques!) la scène 5 de l’acte I et l’acte V. Quand il ne joue pas de l’une de ses trois guitares Marc Ducret dirige sa petite troupe de la main droite, la gauche restant posée sur le manche.

Après une longue introduction instrumentale, le contre-ténor Rodrigo Ferreira entre en scène et interprète plusieurs thèmes, des arias (?) qui ne dépareraient pas dans un opéra baroque.

Plus tard, c’est la soprano Lea Trommenschlager, plus walkirienne, qui viendra mêler sa voix aux cordes, bois et cuivres. Les deux chanteurs seront réunis pour la partie finale. Une œuvre à la construction impeccable, une écriture qui donne à jouer à chacun des musiciens. Marc Ducret nous gratifiera de quelques soli dont il a le secret, à six, douze cordes

ou sur sa guitare préparée qu’il utilise avec des objets divers (mug, bottleneck, tige de métal, ebow,…).

Parmi les moments forts, un duo telecaster-soprano ou un solo de Régis Huby sur un violon ténor avec pédales et loopers

ou encore les sonorités profondes du cor de basset joué par Catherine Delaunay. Une œuvre qui se fait fi des genres, du jazz à de l’opéra baroque en passant par le rock et la musique contemporaine, en osant des dissonances, en malmenant les rythmes classiques pour mieux servir son propos.

Nous ne détailleront pas  tout le concert mais les musiciens méritent qu’on les cite tous, de gauche à droite :

Marc Ducret (guitares), Samuel Blaser (trombone), Sylvain Bardiau (trompette et bugle), Catherine Delaunay (clarinette et cor de basset), Liudas Mockunas (saxophones), Régis Huby (violons), Bruno Ducret (violoncelle), Joachim Florent (contrebasse) et Sylvain Darrifourcq (percussions) et au centre, Léa Trommenschlager (soprano) et Rodrigo Ferreira (contre-ténor).

Mettre de la tragédie au cœur d’un festival de jazz c’est le défi plus que réussi par Marc Ducret, ses musiciens et le grand ordonnateur Claude Tchamitchian.

Les émouvantes, le festival qui ose, séduit et bien sûr émeut.

Ecrit par Jacques Lerognon

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