#LiveReport : Le festival Les Voix de l’Autre au Thoronet

« Les Voix de l’autre » n’est pas à proprement parler un festival consacré au jazz. Il sera donc ici question de la splendide création de Erik Truffaz et Vincent Segal dans l’abbatiale du Thoronet. Mais seront évoqués aussi tous les autres concerts de cette belle manifestation qui unit les univers musicaux de l’Europe et de l’Afrique via la Méditerranée. Tant les diverses improvisations et digressions ont tout à voir avec l’univers de la note bleue.

Ce sont des voix qui accueillent les spectateurs dans l’abbatiale du Thoronet. Venues du Maroc, du Mali, de l’Algérie, de Syrie ou bien de l’Italie, elles sont un préambule lourd de sens pour les déambulations qui suivent. Que ce soit dans le dortoir ou dans le cloître, les chasseurs du Mali avec la voix profonde de Adama Coulibaly mélangent leur savoir avec la tradition Arabo Andalouse magnifiquement interprétée par Mona Boutchebak, le folk venu d’Angleterre que distille savamment Piers Faccini, le directeur artistique du festival, polyglotte tant par la voix que par ses accompagnements. S’ajoutent la canzonnetta italienne et les chants traditionnels des Pouilles de Rachele Andrioli. N’oublions pas le oudiste multi-instrumentiste Malik Ziad, ses chants marocains issus de confréries mystérieuses.

Toutes les voix se mêlent, toutes les voix se répondent, surtout se comprennent et s’unissent – pas évident dans notre monde !  C’est un merveilleux quintet à cordes (guitare dobro, Kamélé n’gonis malien, guembri d’Afrique du Nord sans oublier… Les cordes vocales). Le jazz n’est jamais loin, improvisations, chorus et solos, une world music qui fait du bien.

18h30, lumière naturelle- il fait sombre en cet après-midi orageux- pour accueillir Vincent Segal et son violoncelle. Le musicien semble entamer une conversation avec les lieux, utilisant toutes les possibilités – on peut penser qu’il en essaye de nouvelles – de son instrument, l’archet qui virevolte et qui semble démultiplié comme ses doigts qui pizzicatent avec bonheur. Les pierres vibrent. Le public aussi. Du fond de la salle, sourd la trompette d’Erik Truffaz qui entame non pas un dialogue mais une trinité entre son instrument, les vieilles pierres et son ami Vincent Segal. Avec eux, les spectateurs voyageront dans l’espace et dans le temps. Ils voleront haut jusqu’à la voûte de l’abbatiale, et plus loin encore.  Le violoncelle se rappelle sous les doigts du musicien des processions des moines, de l’aube froide et des crépuscules soyeux, la lumière qui transperce les oculi, les gémissements des miséricordes. Lui répond le souffle du trompettiste, qui joue, s’empare d’un bout de thème, et l’emmène ailleurs. Improvisation totale, pendant plus d’une heure, époustouflante de virtuosité. Pour autant, la technique parfaite ne voile pas l’émotion à fleur de notes et de sons. Vincent Segal et Erik Truffaz jouent, s’amusent et enchantent le public. Un moment d’exception salué par une standing ovation longue et appuyée.

Si l’on s’éloigne de l’univers du jazz, il faut aussi parler de cette évocation des cérémonies de transe des traditions spirituelles Gwana présenté par un maître marocain Adil Amini accompagné de trois percussionnistes. Une musique puissante et lancinante empreinte de poésie qui clôture la première journée.

La poésie est aussi omniprésente dans la performance hallucinante de la chorale Mikrokosmos, dernier concert du festival. L’espace de l’abbatiale est d’un coup envahi de corps vêtus de noir qui encerclent le public, le rendant tout à la fois captif et libre d’utiliser ses sens comme il l’entend. Entendre, justement, le relief acoustique de vingt et une voix qui murmurent, psalmodient, chantent mais aussi crient et éructent en un ballet sonore savamment orchestré par Loïc Pierre. Plus d’une heure de pur plaisir à écouter/voir le projet de cet ensemble, troisième volet de l’aventure « Le jour m’étonne ». Chants pastoral ou guerrier, mythologies celtes ou antiques revisitées, ce spectacle total semble s’affranchir de la gravité et abolir les frontières. Belle conclusion pour ce festival, intitulé rappelons-le « Les voix de l’autre ».

Crédit photos: Jacques Lerognon

Ecrit par Corinne Naidet

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