Remarquant la présence de Nduduzo Makhathini, Zoulou sud-africain, compositeur et pianiste de jazz, au programme du Nice Jazz Festival, festival international Niçois de jazz, j’achète un premier CD : conquis ! Puis un deuxième : conquis encore ! Et depuis, dans mon atelier, trois jours par semaine, j’écoute les deux CD en entier !
Il y a bien longtemps que je n’avais pas eu autant de plaisir à écouter un groupe actuel de jazz, parmi ceux qui font le jazz, pourtant nombreux et excellents, ni retrouvé cet enthousiasme que nous avions tous, quand – un peu plus jeunes, il faut le dire- on se réunissait entre copains pour découvrir Coltrane et ses premiers disques ramenés des États-Unis. Époque bénie ! Avec Nduduzo Makhathini, j’ai retrouvé ce plaisir. Il me faut essayer de vous expliquer pourquoi !
Commençons par le personnage : Zoulou d’origine, né en 1982 à Umgungundlovu, ancienne capitale royale, dans la province du KwaZulu-Natal, il se présente comme musicien et chaman-guérisseur. C’est peut-être dans cette dualité que se trouve l’explication de sa musique, inspirée, spirituelle, d’une force vitale indéniable. De nombreuses informations sont disponibles sur le web, en particulier sur Radio-France, Bimusicprod, label Gundu ou label Blue Note. En fait, j’ai trouvé un musicien ayant déjà une réputation sérieuse, détenteur de nombreux prix, mais, me semble-t-il, assez méconnu par ici, voire ignoré. Sans doute à cause d’une musique trop simple par certains côtés, ou beaucoup trop subtile par d’autres. Je pensais extirper de l’ailleurs une perle rare, me voici face à une figure connue. S’il fallait résumer, je dirais des thèmes chantants que l’on a envie de fredonner, des rythmes qui donnent inévitablement envie de danser, pas seulement pour danser, mais juste pour « être dedans ». Les titres sont en langue zoulou, ce qui n’est pas pour faciliter les choses, et je ne me risquerai pas à les traduire, mais je crois comprendre qu’ils reflètent surtout le côté chamanique.
Concernant le CD « Modes of communication – Letters of the underworld », le thème Unyazi est remarquable, au tempo soutenu, où l’on retrouvera, entre autres, des réminiscences d’Alice Coltrane ou de McCoy Tyner. Umlotha mérite une attention particulière : une intro lente, bien développée sur 2 min 50 s, puis une structure rythmique prenante en 5/4 sur 4 mesures, percussions, batterie et piano. La danse est là, qui amène une belle improvisation collective. Le titre Umyalez’oPhuthumayo offre un chorus piano formidable. Indawu est obsessionnel. Toute l’Afrique (et Africa) est là ! C’est toute une époque qui revient en ce XXIe siècle si troublé, mais où la recherche du sens redevient à la mode.
Dans l’album « In the Spirit of Ntu », avec le titre Amathongo, on se rappellera Miles Davis et Sketches of Spain. Avec celui de Mama, on goûtera des voix feutrées et envoûtantes sur de beaux arrangements. Très beau thème aux lignes enchevêtrées avec Emlilweni. On regrette qu’il se termine sur un affaiblissement. Avec Unonkanyamba, on retrouve des accents de Deidre Rodman dans Sun Is Us.
Alors voilà, écoutez attentivement ce musicien, et des images fugitives passeront évoquant Miles Davis, Thelonious Monk, Coltrane, John et Alice, et d’autres, et vous baignerez dans des harmonies et des thèmes qui chantent et dansent.
Jean-Étienne Marie, maintenant disparu, qui fonda en 1968 le CIRM*, Centre International de Recherche Musicale à Nice, puis le Festival MANCA, me disait, lors d’une séance de travail :
La musique que tu n’aimes pas, écoute-la sans arrêt, jusqu’à ce que tu la comprennes. Si tu continues à ne pas l’aimer, arrête, tu auras peut-être compris pourquoi tu ne l’aimes pas. En général, on n’aime pas parce qu’on ne comprend pas. Mais, peut-être qu’aussi, tu finiras par l’aimer. Et là, tu auras progressé. Par contre, quand tu aimes, n’écoute plus !
Au cours des ans, j’ai pu vérifier la justesse de son conseil. Quand on n’aime pas une musique, il faut persévérer un peu ! Par contre, je dois avouer que celle que j’aime, je l’écoute et la réécoute sans me priver. Il y a des accords que j’appelle « magiques ». Ils vous happent. On peut plonger dedans pendant des heures, sans jamais finir de les explorer. J’ai trouvé ce plaisir magique à l’écoute de Nduduzo Makhathini.
Pourtant, au Nice Jazz Festival 2022, sans surprise, il y a eu peu d’échos dans les médias, nous vivons une époque de l’immédiateté, qui aime les musiques faciles, brillantes, très médiatisées. Pas celles qu’il faut vraiment écouter, qui s’écoutent dans la durée. Mon espoir est que ces quelques lignes vous inciteront à l’écouter avec attention, en rêvant. Finalement, malgré son énergie, je crois que la musique de Nduduzo Makhathini s’écoute dans le recueillement. Rentrez dans son discours, et laissez-vous porter !
* Pour mémoire, le CIRM, pourtant Centre National de Création, va disparaître et a été démantelé en 2022. Un véritable gâchis.