#Portrait : Travis Hill « Trumpet Black »

La vie de Travis Hill, tortueuse et incandescente, condense à bien des égards l’odyssée tragique des jeunes Noirs américains de notre époque. Issu d’une dynastie musicale prestigieuse du Tremé, l’un des musiciens les plus prometteurs de sa génération, « Trumpet Black » est le petit-fils de Jessie Hill « Oh Poo Pah Doo » et le cousin de James Andrews, Troy « Trombone Shorty » Andrews et Glen David Andrews.

A 4 ans, il joue du tambour, à 7 ans il fait des claquettes dans le Quartier français et souffle dans sa trompette pour gagner quelques dollars… « C’est Trombone Shorty qui nous apprenait la musique. Nous avions le même âge, 8 ou 9 ans. On idolâtrait les brass bands de l’époque : Rebirth, Soul Rebels. Seul Dieu sait pourquoi Trombone Shorty était si doué ». Dès leur plus jeune âge ils parcourent ensemble le monde au sein du Trombone Shorty Brass Band. « On voyageait tout seuls, au Japon, en Europe. On n’avait peur ni des plus grandes scènes ni de s’adresser aux gens. Un jour, on s’est perdu en allant à New York. On était là, à pleurer comme des mômes au milieu de l’aéroport. ».

Plus que des cousins, Trombone Shorty et Trumpet Black étaient comme des jumeaux. Leur route était tracée. Ils allaient consacrer leur vie à parcourir le monde et jouer ensemble leur musique. A l’adolescence, Travis a été condamné à 9 ans de prison pour un vol à main armée (qu’il a toujours nié). « J’ai été placé dans une situation où j’étais de toute façon perdant : négocier avec le système judiciaire entre une peine de prison très très longue ou une peine de prison encore plus longue. C’est comme ça, ici. Je vis mainte- nant au cœur de la ville, dans un bel appartement. Mais je peux aussi bien me faire arrêter en sortant et placer en cellule simplement parce que des policiers l’ont décidé ». Derrière les barreaux il peaufine son anglais, obtient une licence, apprend l’arabe, le swahili et le chinois, et se convertit à l’islam. Travis assiste au triomphe de son cousin Trombone Shorty, devenu une légende. Imaginez cela : deux gamins prodigieux, du même sang et de la même trempe, dont l’un accomplit les rêves de l’autre tandis que celui-ci ramasse du coton dans un pénitencier du Sud ! « Je n’ai jamais ressenti aucune rancoeur. J’étais heureux que Trombone Shorty réalise ce dont nous avions toujours rêvé. Et puis j’étais confiant… Je savais que quand je sortirai, avec ma trompette j’allai conquérir le monde. »

Trumpet Black avait vu juste. Il a repris sa place comme si rien ne s’était passé. Jeune et fougueux trompettiste, il allait avec sa musique électrisante prendre le monde d’assaut. Il était prêt. Il utilisait son passé comme un tremplin, et rattrapait avec énergie et détermination les 9 années perdues. « Entré en prison enfant, j’en suis ressorti homme ». Il forme son propre groupe, le Trumpet Black and the Heart Attacks et accumule les succès. Il brille et tout le monde autour de lui en a conscience. Son premier album est prêt à sortir. Les titres de ses chansons alternent entre Les trompettes ne sont pas des armes et Cette trompette est ma vie. »

Trumpets Not Guns est l’association à but non lucratif pour laquelle il s’est porté volontaire, participant bénévolement à des concerts et travaillant avec les enfants « à risque ». Il décède le 5 mai 2015 à Tokyo lors d’une tournée. Une dent mal soignée a viré en septicémie. Son cœur s’est arrêté. Il avait 28 ans. James Andrews organise alors une gigantesque fête qui dure une semaine. Tous les musiciens de la ville viennent jouer 24 heures sur 24 sur une scène installée dans la rue, près du bar de la famille, « l’Ooh Poo Pah Doo ».

Aux jazz funerals, une interminable Second Line défile en dansant dans le Tremé, aux rythmes endiablés de la Trombone Shorty et Trumpet Black musique, afin de rendre hommage à Travis. L’émotion est intense et la communauté témoigne d’une solidarité hors du commun. Autrefois chaque lundi était la grande soirée de Trumpet Black au bar  »Ooh poo pah doo », avec des haricots rouges et du riz. Il y mettait le feu. Après son décès, et jusqu’à la fermeture du bar, James Andrews a continué la tradition des Blues Mondays pour lui, et pour ses anniversaires il a organisé un grand « pow-wow » en signe d’hommage extraordinaire. Trumpet Black se réjouissait d’être invité à jouer au festival d’Ascona, en Suisse, au mois d’août. James Andrews a repris le flambeau à Ascona et, avec le groupe « Hearts- Attacks », il l’a fait revivre le temps d’un Jazz fest pour des milliers de spectateurs.

Aujourd’hui une gigantesque fresque de Trumpet Black haute de 2 étages trône dans le Tremé et une autre à son nom au Centre de justice de La Nouvelle-Orléans. Des écoles Travis Hill pour la réinsertion des jeunes délinquants ont ouvert leurs portes. Travis disait : « Cette trompette est ma vie, c’est la seule chose que je fais bien, elle est mon ticket pour le monde. Elle me tient éloigné de la tempête ». Par son destin tragique Trumpet Black a rejoint le monde des légendes du Tremé.

Ecrit par Monique Bornstein

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