Roland Kirk est le souffleur absolu : capable de jouer de trois saxophones simultanément, de pratiquer tous les instruments à vent possibles, du bugle, à la clarinette, en passant par la flûte traversière, la flûte à bec (ou à nez ?) et autre cor anglais ou mélodica…

Il signe ici un album revisitant par le jazz le répertoire soul à succès de ses contemporains. Attention génie : l’homme synthétise tous les superlatifs. Né en 1935, frappé d’une déficience visuelle qui le rendra aveugle dès ses deux ans, Roland Kirk est un maître du groove, touche-à-tout en quête perpétuelle d’expérimentation, développant des techniques de respiration circulaire ou travaillant et bricolant ses instruments improbables. Chantre de la Great black music, il prouve par cet album son attachement aux standards de la soul, musique populaire qu’il ré-interprète avec l’inventivité, le tempérament et l’élégance qu’on lui connaît. pas d’ostracisme ni de hiérarchie, tout est prétexte à relire un standard à sa sauce, avec son audace et son art de teinter une mélodie mainstream par ses fulgurances free. de Bill Withers, Marvin Gaye à Smokey Robinson, comment résister à la curiosité d’écouter la relecture de Roland Kirk de ces grands morceaux ? La magie opère déjà avec le classique Ain’t No Sunshine composé par Bill Withers, un morceau court, qui laisse présager du reste de l’album : l’esprit soul demeure. Le musicien se laisse aller avec respect à ses douces madeleines de proust, scandées par des solis de sax ou quelques chants flûtés dont il a le secret. Les incantations débridées de Roland Kirk, posées sur ces chansons d’amour, en ont-elles perdu leur essence militante ? Il faut attendre en toute fin d’album le morceau éponyme Blacknuss pour rappeler à son auditoire que le fondateur du « Jazz and people’s movement » milite toujours pour que les 36 notes noires du piano soient dignement représentées et considérées à leur juste valeur…