Si l’on considère comme le bassiste Stephane Castry que la musique est « un moyen de promouvoir nos cultures et nos traditions », le jazz créole en est l’illustration parfaite !
Une musique issue de la rencontre entre Amérique, Afrique et Europe !
Le jazz est partout, et le créole une langue de rencontres. Né sur le bateau d’Afrique aux Amériques, on retrouve le même créole dans les îles anglaises que dans les îles françaises ainsi qu’à La Nouvelle-Orléans. Il est lié à l’histoire de l’esclavage et de la colonisation.
Selon la confession d’un colonisateur, les Français catholiques toléraient le tambour interdit chez les Anglais !
En fonction de ces influences, les grands jazzmen se tourneront vers des rythmes différents, par exemple Sonny Rollins vers le calypso, Dizzy Gillespie la samba, Stan Getz la bossa, pour ne citer qu’eux !
En fait, le Jazz créole réunit toutes les musiques créées à partir du rythme, issues du métissage humain et culturel engendré par l’esclavage.
Il est composé de multiples traditions :
– le brass band de La Nouvelle-Orléans
– le kompa haïtien
– la salsa cubaine
– le calypso trinidadien
– le merengue dominicain
– le maloya réunionnais
– la biguine et le zouk, martiniquais et guadeloupéen
En fait, le jazz émergé à La Nouvelle-Orléans au début du XXe siècle n’est pas anglo-américain : les sources du jazz résident dans une société coloniale française… les racines du jazz plongent dans l’évolution de la société créole courant XIXe, les musiciens étaient pour la plupart des Créoles de Louisiane et de la région caraïbe : 1500 colons ont fui Saint-Domingue pour La Nouvelle-Orléans, puis arrivent 9000 colons et Noirs libres de Cuba, et dix ans plus tard 4500 Noirs.
Les premiers musiciens de jazz ont des noms bien domingois, entre autres Domingo Ferdinand Joseph Lamothe : musique vaudoue et jazz.
« C’est le rythme qui cimente les multiples aspects de l’âme noire, disait Sartre, c’est lui qui communique la légèreté à ces lourdes intentions dionysiaques, c’est le rythme (tam-tam, jazz) qui figure la temporalité de l’existence nègre. »
« Si les Bonga, Azor, ou autres sont dignes d’un respect sonore, c’est parce qu’ils tiennent au bout de leurs doigts le pouvoir de racheter tout le tragique de l’existence humaine. Ce pouvoir de transfigurer notre misère par des vibrations aptes à générer des danses de sympathie cosmique » ! Melville Herskovits
Les sources du jazz créole résident dans une société coloniale française géographiquement diffuse (Caraïbes et Océan Indien) et ayant peu de rapport avec la culture anglo-américaine. Les racines du jazz plongent dans l’évolution de la société créole au courant du XIXe siècle, étant entendu que la plupart des musiciens de jazz du début étaient des Créoles de Louisiane ou de la région caraïbe : souvent les musiciens créoles changeaient leur nom à consonance créole pour éviter l’épithète de frenchy qui, en mettant en évidence leur origine noire, les gênait dans leur carrière.
On retrouve donc le jazz créole dans les territoires d’outremer français ou ex-français tels les Antilles comme la Martinique et la Guadeloupe, ainsi qu’en Guyane, à la Réunion, Madagascar, Maurice, mais aussi dans les Antilles anglaises comme Trinidad, les Seychelles, La Barbade, et dans les îles portugaises et espagnoles comme le Cap Vert ou les Açores… Puis, évidemment, aux Etats-Unis à La Nouvelle-Orléans !
On ne pourra pas parler de tous les groupes créoles, car ils sont trop nombreux, mais on peut évoquer les plus importants, et surtout ceux qui se produisent ou se sont produits en France.
Bertrand Dicale, un grand journaliste musical, dans son livre « Ni noires ni blanches, histoire des musiques créoles » parle des liens étroits entretenus entre la biguine et le jazz. Il dit de la biguine : « Avant que ce soit un genre en soi, c’est une façon particulière de jouer une musique ». Dans les années 60, arrivent les mouvements Indépendantistes et l’avènement du gwoka (Gérard Lockel), soutenu par l’écrivain Edouard Glissant qui défend la créolité et non la négritude comme Aimé Césaire. Pour lui, la biguine est une musique de rencontre et de partage.
On ne pourra pas parler de tous les artistes qui ont honoré le jazz créole car ils sont trop nombreux, mais on va au moins citer les principaux.
Les Antillais qui ont ouvert la biguine au jazz :
Le Big Band in Jazz Collective
La biguine, née à Saint-Pierre en Martinique de la musique de danses de salons et du bèlè qui est un rythme d’origine africaine venu des campagnes, est interprétée dans les salons de maîtres par ceux nommés « nègres à talent » et a vu son ascension stoppée par l’éruption du volcan de la Montagne Pelée en 1902. Elle s’est transformée, a enfanté d’autres styles, mais demeure la mère des musiques de la Martinique. Le Big Band in Jazz Collective est un Collectif de jeunes musiciens entre 25 et 50 ans. Il représente les forces vives du jazz contemporain antillais et ambitionne d’accentuer encore le lien entre la biguine et le jazz en reprenant les standards des grands compositeurs antillais ayant déjà ouvert la biguine au jazz : Alain Jean-Marie, Eugène Mona, Marius Cultier, Albert Lirvat, Alexandre Stellio en leur donnant un coup de fouet.
Alain Jean-Marie
L’un des plus importants. il a joué avec tout le monde : Chet Baker, Abbey Lincoln, Max Roach, Dee Dee Bridgewater, Barney Wilen, et il continue toujours. Il a abordé en jazzman la biguine et la musique antillaise qui partagent avec le blues les mêmes racines, celles très riches, très denses d’une histoire musicale très fertile que peu de musiciens ont autant défendu que lui dans une expression originale. « Je ressens une histoire commune… toutes ces musiques ont les mêmes racines, issues de la rencontre en Amérique de l’Afrique et de l’Europe, et la musique diffère en fonction du colonisateur… La prise de conscience de notre identité créole m’a été insufflée par Glissant qui m’a poussé à faire des efforts pour avoir une musique de fusion de biguine et jazz, des musiques de rencontre et de partage. »
Akoda Jazz Créole
Des compositions pures distillées par le piano de Valérie Chane Tef pour l’accompagner, une rythmique bien chaloupée tenue par une basse et un set de percussions de l’île de la Réunion à La Nouvelle-Orléans en passant par les Caraïbes, le jazz créole comme ils le précisent : et comme le jazz, ils sont imprévisibles ! « Biguine, mazurka, maloya, afro-jazz, l’énergie d’Akoda Jazz Créole n’a pas de pareille… On marche au rythme du cœur au rythme d’Akoda Jazz Créole, parce qu’il est l’heure du bonheur ».
Mario Canonge
Les plus belles pages du jazz antillais : pendant plus de douze ans, le pianiste Mario Canonge se produisit chaque mercredi avec le contrebassiste Michel Zenino au Baiser Salé à Paris, et ils ont même fait un festival et finirent par faire un quintet.
Arnaud Dolmen
Un Guadeloupéen exceptionnel : un mélange de puissance et de douceur, loin de l’esbroufe. Il a le groove au bout des doigts : un jazz vif aux audaces harmoniques, mêlant les mélopées africaines, loin des clichés exotiques. Couleur nouvelle mêlant biguine et jazz-bop.
Le Créole Jazz Orchestra
Mélange créole de La Nouvelle-Orléans, St Denis de la Réunion, les Caraïbes et Amérique du Sud. Le monde créole dans sa globalité ! Rencontre des musicalités de 11 musiciens : jazz, folk, ethnique et trépidant. Il réunit toutes les musiques créées à partir des rythmes issus du métissage humain et culturel engendré par l’esclavage. « Le groove insidieux uni à la quête existentielle d’un Sonny Rollins tutoyant les cimes aux côtés d’un Miles Davis, période 60’s… Un jazz folk, ethnique, trépidant, hanté par les racines d’une animalité débridée ».
Bonga
Angolais, exilé politique, ancien champion olympique du 400 mètres, Bonga se produisait dans des cabarets brésiliens et antillais puisqu’il parlait portugais et créole. Ce fut au Discophage, haut lieu de la musique brésilienne, qu’il fréquenta tous les Brésiliens et les chanteurs français fans du Brésil comme Bernard Lavilliers qui, des années après, enregistrera une de ses chansons. Voix au timbre un peu cassé et d’une grande sensualité, il finit par être programmé dans les grandes salles et les grands festivals. Je le fis passer à Nice alors qu’il était encore très peu connu au Théâtre du Vieux-Nice, devenu Francis Gag par la suite. Puis il est passé plusieurs fois au Festival des Nuits du Sud à Vence. Il réside maintenant à Lisbonne.
Omar Sosa
Le Creole Spirits naît de la rencontre de deux musiciens caribéens : Omar Sosa, pianiste cubain et le Guadeloupéen Jacques Schwarz-Bart. Omar Sosa est pianiste, arrangeur, percussionniste : il fait se rencontrer toutes les musiques et chaque concert est un événement par la dynamique dont il fait preuve et qui se répand autour de lui. Il aura fait toutes les formations : solos, trio, sextet, octet avec les plus grands musiciens du latin jazz. Il est le grand réformateur de la musique afro-caribéenne contemporaine et un des plus emblématique de ce métissage qui a bouleversé le paysage musical mondial. Ses concerts sont un instant de grâce, une cérémonie symphonique colorée et joyeuse.
Jacques Schwarz-Bart
Un musicien très sensibilisé à la culture créole. Son futur album Mosaic rassemblera des musiciens africains et la diaspora afro-caribéenne à travers 10 pays : Brésil, Colombie, Haïti, Cuba, Trinidad, Guadeloupe, Martinique, Maroc et Cap Vert. Ce musicien a fait 150 albums avec les plus grands dont Chucho Valdés. Pour ce fameux disque, il va parcourir l’Amérique Latine, les Caraïbes et l’Afrique pour approfondir les liens.
Don Vappie
Le jeune Hendrix du banjo ! Banjoïste, chanteur créole de La Nouvelle-Orléans, primé à différentes reprises, il est reconnu à travers le monde comme le représentant contemporain d’une longue lignée de musiciens tels que Danny Barker et Johnny St. Cyr. Il reprend le flambeau de la riche histoire musicale créole. Artiste emblématique de sa ville, de sa culture, on le retrouve dans tous les festivals et les salles de concert aux quatre coins du globe. Vieux standards louisianais en langue créole.
Les Vikings et la Perfecta
« Jazz créole », la musique des Vikings et de la Perfecta est enracinée dans de multiples traditions insulaires et libre de toute contrainte. Influences diverses : les brass bands de La Nouvelle-Orléans, le kompa haïtien, la salsa cubaine, le calypso trinidadien, le merengue de la Dominique… En intégrant ces importations à leur propre héritage antillais (biguine et tambours ka ou bèlè), les Vikings et la Perfecta inventent la modernité créole qui débute dans les années 50 et s’achève avec l’avènement du zouk dans les années 80. Les Vikings et la Perfecta incarnent l’irrévérence et l’impétuosité d’une génération autodidacte, décidée à bousculer les institutions, et la Guadeloupe est vite submergée d’arpèges funky et jazzy !
Mizikopéyi Créole Band
Tony Chasseur, une des plus grandes voix du jazz et de la world music, a créé le seul big band de jazz des Caraïbes. 18 musiciens : direction Thierry Valon, les titres emblématiques de la mémoire antillaise avec des invités prestigieux : Alain Jean-Marie, Jacques Schwarz-Bart et Arnaud Dolmen. Métissage, rythme traditionnel et populaire, et mélodies afro-caribéennes avec 12 cuivres !
Jenny Alpha
Chanteuse et comédienne de Fort-de-France, elle s’est toujours battue pour la culture créole. Elle fut d’abord attirée par le théâtre, mais à son époque (coloniale !) elle ne peut réaliser son rêve, et elle se tourne alors vers le music-hall où Joséphine Baker sévit déjà. Elle enregistre des disques en créole, puis délaisse la chanson pour devenir actrice. Ce n’est qu’après la diffusion d’un documentaire sur elle que, à cause du succès de ce reportage alors qu’elle a 98 ans, elle retrouve la route des studios pour réaliser un album avec ses anciens succès comme « La sérénade du muguet » en compagnie de Thomas Dutronc et du Mauricien Alain Ramanisum !
James Andrews
Artiste de La Nouvelle-Orléans qui fut un des rares (avec son frère Trombone Shorty) à retourner dans sa ville après le séisme récent et qui joue toujours du jazz traditionnel, il est évidemment empreint de culture créole disons « new orléanaise » !
NON, Le Jazz Créole n’est pas mort !