Métrique, rythme, sonorité, accent, harmonie… Les préoccupations du musicien de jazz semblent fort proches de celles du poète. Cependant, le lien entre jazz et poésie s’est élaboré au fil du temps.
Ainsi, de nombreux poètes ont affirmé être inspirés par le jazz dont les origines et la spécificité rythmique sont propres à stimuler le désir d’exploration. De leur côté, les musiciens le leur rendent bien puisqu’ils aiment puiser leur inspiration au coeur d’oeuvres poétiques. C’est dans les années 20-30 que ces deux modes d’expression ont initié une conversation qui se poursuit encore aujourd’hui. A cette époque, Harlem devient le théâtre d’une culture en pleine effervescence car écrivains, cinéastes, plasticiens et musiciens afroaméricains s’y rassemblent. Homosexuel et écrivain noir engagé pour les droits civiques de sa communauté, c’est là que James Baldwin est né, en 1924.
Ses écrits dédiés à la lutte contre les discriminations ont profondément marqué le chanteur David Linx si bien qu’en 1986, ce dernier l’a convié à des sessions d’enregistrement auprès de musiciens de jazz. De ces rencontres, naîtra une oeuvre à la fois musicale et poétique : A lover’s question. Leur aventure n’est pas une exception car le jazz offre au poète un écrin pour exprimer sa révolte. Par ailleurs, les mots ont un rythme à partir duquel l’artiste improvisateur peut se propulser vers de vastes horizons.
Dans les années 40, lassés des contraintes de l’imposant Big Band, certains musiciens se tournèrent vers de petites formations qui leur ouvraient davantage d’espaces pour improviser. Le Be Bop voyait le jour et enthousiasmé par ses chorus endiablés, Jack Kerouac, leader de la Beat Generation s’en inspirerait plus tard pour composer les 242 chorus de son recueil Mexico City Blues. A ses côtés, Ted Joans poète militant, trompettiste et peintre a exploré le swing par la déclamation de ses propres textes en musique.
A partir des années 60, alors qu’un vent de liberté souffle sur une Amérique puritaine encore bien en peine de ses démons racistes, les jazzmen afro-américains en profiteront pour réveiller l’esprit de révolte propre à leur musique. Une lame de fond nommée Free jazz enrichira progressivement la palette de l’improvisateur et fera évoluer ses perspectives de manière irréversible. Teintant sa musique d’un élan poétique, il en viendra peu à peu à explorer les mots, leur rythme et leurs sonorités, le timbre de son instrument, la déstructuration du phrasé, l’atonalité comme autant de possibilités sur lesquelles il pourra prendre appui. Dans Conspiracy (1975), Jeanne Lee, l’une des principales vocalistes de ce mouvement déploie avec grâce toute une palette de sons et d’ onomatopées, nous livrant une oeuvre d’expression résolument poétique.
Aux côtés du pianiste Benjamin Moussay, la chanteuse Claudia Solal s’est aventurée chez la poétesse Emily Dickinson et nous a livré quelques unes des fleurs qu’elle y a cueillies, avec le disque Porridge Days.
Depuis une quinzaine d’années, l’exploration de l’oeuvre de Paul Verlaine a permis à John Greaves de réaliser 3 albums ! Inlassablement, les routes convergent entre jazz et poésie laissant entrevoir aux mélomanes gourmands de cette dernière,de réjouissantes perspectives.