Le Festival Les Emouvantes propose deux concerts par soir, bien différends, dans la salle André Audoli du conservatoire Pierre Barbizet à Marseille. Le solo de contrebasse In Spirit de Claude Tchamitchian et le quartet Ici du guitariste Marc Ducret et un vendredi qui explore deux facettes d’un jazz vocal atypique.
Jeudi :
C’est le calicot du programme qui accueille l’amateur de jazz à l’entrée du conservatoire mais cette année celui-ci est orné d’un tag des plus explicite auquel on ne peut qu’adhérer.
En prélude à la soirée, dans le très beau patio du conservatoire, on assite à la restitution de la masterclass menée par Marc Ducret avec des élèves de la classe jazz. Deux trompettes, deux saxophones, clavier, basse et batterie ont travaillé des partitions du guitariste. Belle cohésion du groupe et malgré le trac un très beau solo de trompette et de sax alto.
19h, on passe aux choses sérieuses avec In Spirit, le concert en solo de Claude Tchamitchian. Il nous présente en quelques mots son projet et la magnifique contrebasse sur laquelle il va jouer. Celle de Jean-François Jenny-Clark accordée pour l’occasion en Mib-La-Mib-La. Trois suites, la première en quatre parties permet à Claude Tchamitchian de développer ses idées rythmiques, son jeu à l’archet ou en « pizz » et ses improvisations.
Il prend plus tard un second archet l’un sur le dessus des cordes, l’autre simultanément sur le dessous d’icelles afin de rappeler le son de la kamantcha, vielle arménienne. L’instrument de l’un de ses maitres. Un set intense, il laisse parler sa main gauche sur toute la longueur du manche dans des doigtés parfois acrobatiques.
La dernière pièce intitulée « Chidhood » dédiée à tous les enfants du monde sera plus courte, moins tonique et presque malicieuse.
On profite un peu de la fraicheur extérieure avant de retrouver nos places et d’écouter enfin ce fameux quartet dont on ne connaissait que la version discographique. Trois soufflants accompagnent la guitare de Marc Ducret. Christophe Monniot aux saxophones alto et baryton, Fabrice Martinez trompette, bugle, picolo et euphonium et Samuel Blaser au trombone. Le projet créé pendant le confinement se nomme Ici car à l’époque on ne pouvait pas aller là-bas, nous dit le guitariste, un sourire en coin. Une suite en quatre parties comme les quatre saisons nécessaires à la création de ce répertoire. Le compositeur-guitariste est aussi metteur en scène de sa musique, ses trois compères prenant le souffle tour à tour, ou en duo, ou bien en trio répondant en des feux d’artifice de couleurs, de timbres. Pas d’instrument rythmique mais celle-ci est assurée par une espèce nouvelle de basse continue entretenue par la guitare et le trombone
ou par les graves de l’euphonium. Fabrice Martinez -as de l’embouchure- passant avec brio et aisance de la trompette picolo à son tuba ténor.
Par instants Marc Ducret délaisse sa guitare principale pour une plus petite, de voyage, posée sur une table, qu’il joue en taping ou avec divers objets allant du mug au bottleneck en passant par une visseuse-deviseuse (un ebow version Casto)
sous les coups de boutoirs du baryton de Christophe Monniot
ou les longues plaintes du trombone de Samuel Blaser. Rassurez-vous, il usera de sa guitare de façon plus naturelle en de longs solos distordus ou en arpèges scintillants.
Un court rappel, presque une chanson sans parole, clôt ce concert mais pas la soirée car on peut retrouver les musiciens près du bar pour échanger impressions, ressentis.
Vendredi :
C’est le quartet “Haleïs” de Juliette Meyer qui ouvre ce second soir.
Haleïs est un mot de vieux français signifiant « cri retentissant » nous explique la chanteuse et compositrice avant de laisser Fanny Lasfargues introduire le concert avec sa basse électro-acoustique pourvue d’un copieux set de pédales. Elle anime les cordes une étrange boule de métal, gardant son médiator entre les lèvres.
Puis vient la voix, les voix. Benoit Joblot derrière sa batterie et Clément Mérienne au clavier
se joignent aux deux jeunes femmes. Inspirés de textes médiévaux, les chansons qui se succèdent sont comme de longues plaintes où la voix de Juliette Meyer est propulsée par ses trois acolytes et leur instrument. La musique va du médiéval au contemporain, piano préparé, batterie accessoirisée, basse insolite voire baroque. La tonalité n’est pas joyeuse mais on rentre vite dans une espèce d’enchantement accentué par la gestuelle des musiciens. Les bras en croix ou les mains serrées autour du micro de la chanteuse, la concentration du batteur, les yeux clos qui se couche sur ses toms comme le faisait, en son temps, Bill Evans sur son clavier.
Mais aussi le pianiste qui plonge son corps dans le cadre du Yamaha pour jouer directement sur les cordes avec les doigts ou une baguette ou même un archet électronique. Fanny Lasfargue danse avec sa basse, descend, à genoux, triturer ses boites à effets avant d’empoigner un archet pour stimuler les cordes. Les Emouvantes portent bien leur nom avec cet Haleïs !
Le régisseur et son équipe ont bien bossé pendant la pause. L’espace sur la scène est bien occupé par un marimba et un vibraphone, une batterie, une contrebasse et trois pupitres pour le sextet de Jean-Pierre Julian.
Le batteur-leader nous présente tout d’abord son projet intitulé La Naissance du Soleil et de la lune, inspiré d’un conte aztèque. Dans un monde ancien, les dieux plongent dans les ténèbres créent le soleil et la lune pour donner de la lumière aux humains. Ainsi, il faut que les Dieux meurent pour que les hommes vivent. Hélas pas encore d’actualité. Musique. Les textes sont chantés par Christine Bertocchi en nahuatl, la langue autochtone d’Amérique latine quand elle n’improvise pas sur des sonales et autres onomatopées renforcées par les saxophones de Guillaume Orti ou la flute de Etienne Lecomte.
Une musique très écrite qui évoque Frank Zappa dans les longues parties de vibraphone et marimba de Tom Pablo Gareil
en dialogue avec le saxophone ou la contrebasse d’Éric Chalan. La forte présence de la batterie de Jean-Pierre Julian
en contrepoint des effusions vocales de Christine Bertocchi (aussi impressionnante que virtuose) rappellent à certains le groupe Magma. Après tout les aztèques viendraient des environs d’Altaïr qui n’est pas très éloignée de Kobaïa dans la cosmogonie Zeuhl. Un set luxuriant, touffu, happant. On ne rentre pas facilement dans l’univers de Jean-Pierre Julian mais on y reste longtemps après la dernière note.
Al coda, on soulignera le très beau travail de Julie à la lumière et celui de Mateo et Louis au son.
Les 11 & 12/09/25 au conservatoire Pierre Barbizet -Marseille (13)
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