#INTERVIEW : Mike Stern « Just one of those things » 

Évoquer le grand retour de Miles Davis en 1981 c’est aussi voir arriver autour de lui de jeunes musiciens, Miles ne se trompera pas avec entre autres les saxophonistes Kenny Garrett et Bill Evans, le bassiste Marcus Miller et les guitaristes John Scofield et Mike Stern. Pour ce dernier, l’ascension sera fulgurante aux côtés des meilleurs musiciens de la planète, notamment en intégrant le groupe de Michael Brecker, Steps Ahead. Accidenté gravement aux deux bras en juillet dernier, il était une nouvelle fois sur la Côte d’Azur invité par Nice Music Live.

Atteint aux mains et au bras cet été, Mike Stern s’est rétabli d’une façon prodigieuse, à tel point qu’en novembre, il donnait un concert magistral au Forum Nice Nord. Incroyable de voir sa main droite gantée et tenir aussi bien son médiator comme si de rien n’était et, bien entendu son éternel sourire semblant effacer la douleur. En fait, il n’a rien perdu de sa force à l’instant où il prend sa guitare allant même demander après sa balance de l’après-midi de participer à celle du trio niçois de Fred d’Oelnistz, ce qui nous a permis d’écouter un concert unique que personne, malheureusement, n’a enregistré. Mike Stern, intarissable, nous a accordé un entretien dont voici quelques extraits.

JP Lamouroux : Est-ce que cette période de repos forcé vous a donné le temps de composer ?

Mike Stern : Non, je n’ai pas pu, j’allais partir en tournée en Europe avec Bill Evans, Darryl Jones et Dennis Chambers. On avait déjà fait des gigs, c’était un groupe qu’on dirigeait Bill et moi… j’avais des morceaux prêts pour un album qu’on devait enregistrer en août, Dave Weckl, John Patitucci, Chick Corea et moi, je ne sais si on pourra le faire, mais j’ai un autre album en projet parce que je ne sais pas si Chick sera disponible…pendant de longs jours je ne pouvais pas composer, je ne pouvais pas tenir le stylo …je suis très « old fashioned », je compose à l’ancienne, papier et stylo, je suis aussi très  « low tech », pas très doué pour la technologie.

JP L : Avec les années qui passent, est-il difficile de composer, de rester dans ce langage jazz rock teinté de blues qui a fait votre réputation ?

Mike Stern : Non, non, ce n’est pas difficile, j’aime ça, c’est un challenge… j’ai fait ça avec Eric Johson qui est un peu, lui  un rocker, enfin il peut jouer du jazz, mais ses priorités se situent plus vers le rock, moi, je me situe plus vers le jazz, mais nous avons assez de choses en commun pour nous entendre, c’était très fun… deux guitares, c’est super, j’aime la sonorité. J’ai fait des concerts il y a un an et demi avec John Scofield, nous n’avions plus joué ensemble depuis le groupe de Miles Davis et, avant Miles, nous jouions ensemble dans un groupe avec le bassiste Peter Warren et Jack De Johnette à la batterie et c’était géant. Tout d’abord, j’adore « Sco », j’adore son jeu, mais avec Éric Johnson, c’était bien aussi, il a composé, j’ai composé, on a fait des concerts, c’était une expérience enrichissante.

JP L : Est-ce que votre notoriété peut vous amener à ralentir votre recherche musicale, à vous endormir sur vos lauriers ?

Mike Stern : Pas du tout, si les gens apprécient ma musique, je suis ravi, vraiment, et la musique est quelque chose d’extraordinaire, d’infini, j’essaie toujours des nouveaux trucs et, je me rends compte que, plus on sait, moins on sait. Je connais que dalle (I don’t know shit) après toutes ces années, mais le plus important, c’est de jouer avec le cœur, c’est ce que je dis toujours à mes élèves. C’est sûr, il faut apprendre le langage et le connaître, mais, après, c’est le cœur qui doit parler.

JP L : Lorsque vous composez à la guitare, est-ce que vous avez les autres instruments en tête ?

Mike Stern : Oui, habituellement, mais les gens avec qui je joue sont tellement bons, comme Dennis Chambers, généralement, ils comprennent tout de suite. En fait, j’écris le plus souvent la mélodie et la ligne de basse, ce sont les deux trucs les plus importants, les accords aussi,  mais on peut les poser après.

JP L : Nous avons récemment appris le décès du bassiste Victor Bailey à l’âge de 56 ans, vous avez beaucoup joué avec lui,quels souvenirs vous restent-ils ?

Mike Stern : Oui, j’ai beaucoup joué avec Victor, avant tout, c’était une personne formidable, un véritable grand cœur, un de mes plus proches amis, je le connaissais depuis 40 ans. On pouvait ne pas se voir pendant deux ans et dès qu’on se revoyait nous étions  connectés comme si on s’était quittés la veille… une fois, il m’a réécrit toutes les parties de basse qui pourtant étaient destinées à un autre bassiste, il était comme ça.

JP L : Beaucoup de vos fans voudraient savoir sur quelle guitare vous préférez jouer ?

Mike Stern : J‘aime beaucoup celle-là, une sorte de Telecaster, en fait, c’est le modèle Mike Stern fait par Yamaha à partir de ma vieille Fender Telecaster qui était un peu bâtarde parce que j’avais rajouté des trucs,des micros qui n’étaient pas d’origine, etc… je leur ai envoyé et ils s’en sont servis pour créer ce modèle à mon nom, c’est eux qui me l’ont proposé, je leur ai dit « pourquoi pas, c’est cool ». Ils sont très bons avec le bois, moi je ne suis pas assez calé pour le faire, je l’ai fait examiner par un copain luthier qui s’occupait des basses de Jaco Pastorius, il a aussi rajouté des trucs, et voilà, je l’aime beaucoup et j’en joue le plus souvent possible.


JPL : Le jazz-rock, c’est toujours d’actualité ?

Mike Stern : Oui, bien sûr, je peux m’exprimer dans plusieurs styles comme récemment dans un style plus « World Music » avec Richard Bona… j’ai fait aussi des trucs plus pur jazz, be-bop. Mon dernier album s’appelle  « All over the place » (de partout à la fois) et c’est exactement ça… j’ai écrit tous les titres, ça part un peu dans toutes les directions, mais ça tient néanmoins ensemble en tant qu’album… je ne sais pas si c’est de la fusion ou autre chose,  mais, ça marche, de toute façon, toutes les musiques sont modernes. Il y a le jazz traditionnel, le be-bop, des choses plus rock, mais tout çà peut cohabiter. Wes Montgomery est aussi frais aujourd’hui qu’il l’était à l’époque, c’est toujours aussi incroyable, lui et Sonny Rollins, Jimi Hendrix et Led Zeppelin ! La musique est éternelle, Bach est peut-être le plus moderne de tous avec …18 enfants ! (rires)

Entretien réalisé par Jean Pierre Lamouroux / Traduction : Gilbert D’Alto

www.mikestern.org

Ecrit par Jean-Pierre Lamouroux
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