#JAZZ&HISTOIRE Du silence à la résistance

Jazz & Histoire

Du silence à la résistance

Par Corinne Naidet

« Le Jazz ici en Allemagne c’est devenu pire  qu’un virus ». Ainsi s’exprime un des musiciens qui doit fuir l’Allemagne en 1939 dans le roman « 3minutes 33 secondes ». Titre qui correspond au temps d’enregistrement d’un morceau de Chip Jones et Sid Griffiths, deux Américains qui rejoindront les États-Unis tandis que le troisième musicien, Hiéro Falk, le môme,  métis allemand, était arrêté à Paris puis déporté. Des années plus tard, alors que Chip et Sid reviennent en Europe pour assister à un film en hommage à Hiéro, le premier annonce au second que leur ami n’est pas mort en déportation mais les attend, chez lui, au fin fond de la Pologne. Commence un long voyage à travers le temps; Sid revivant les derniers mois en Allemagne, leur fuite à Paris, leur errance. Mais surtout les trahisons, les lâchetés de certains en ces temps délétères. Les moments de grâce aussi, leur rencontre avec Louis Armstrong dans la capitale française au moment de la drôle de guerre. Et puis la musique et le talent du môme, Hiéro quand il soufflait dans sa trompette.  « La musique aurait retenti comme une sirène de navire qui sonne au large dure, brillante, claire. Le môme, putain, il la rendait trouble, en faisant passer les notes pas seulement par-dessus les mers, mais aussi à travers la terre. ». En 1940, Hiéro se tut.

Les protagonistes de ce roman sont fictifs mais ils nous permettent d’évoquer ce qu’il advint du jazz sous le national-socialisme. Dés l’automne 1935, Eugen Hadamnovsky, directeur de la radiodiffusion allemande bannissait totalement tout ce qui pouvait ressembler à ces « musiques de nègres ou de juifs ». La culture nazie -oxymore ?- se devait d’éliminer toute trace de métissage, tout art dégénéré, lorsque celui-ci était issu de races impures ou  du « bolchevisme musical ».  En 1937 fut organisé le salon des arts dégénérés à Munich : des milliers de toiles furent ainsi décrochées des musées et certaines furent exposées afin de montrer   » La souillure de l’étranger » de l’art moderne. Une année plus tard se tiendra à Düsseldorf le salon des musiques dégénérées : là où la cadence, l’ordre des musiques officielles résonne avec les marches lors des défilés ou des exécutions dans les camps de concentration, le swing et les improvisations ne sont qu’une dégénérescence de cet art. L’affiche de cette exposition montre un saxophoniste noir porteur de l’étoile jaune : c’est un détournement avilissant de l’opéra jazz d’Ernst Krenek, Jonny spielt auf, créé dans les années 20. Wilhelm Furtwängler, promoteur de la musique officielle nazie se plaisait à dire : « Il y a dans la musique des choses qui ont une valeur éternelle. Il y a un fossé entre elles et la musique de jazz. » Conséquence immédiate, les compositeurs et interprètes de ces courants musicaux se virent très vite privés de moyens d’expression et donc d’existence. Beaucoup n’eurent d’issue que le suicide.  A la censure suivront les arrestations et les déportations. Ainsi Martin Roman, pianiste de jazz, est enfermé à Theresienstadt, où il est contraint de jouer dans un film montrant les Ghettos Swingers, ou comment les prisonniers pouvaient se distraire dans ce camp de la mort. Avec d’autres artistes, ils furent ensuite emmenés à Auschwitz. Il survécut, contrairement aux autres, exécutés dès l’arrivée au camp.

D’un autre côté, à Berlin comme dans toutes les autres grandes villes, en particulier à Hambourg, « les swings kids » font de la résistance. Ainsi que les zazous, en France, une forme de résistance apparait : on organise des concerts dans des caves, ou même dans la rue et des guetteurs préviennent les participants et les musiciens de l’arrivée de la Gestapo. Cela parait dérisoire, mais certains d’entre eux s’engageront ensuite plus politiquement dans des mouvements comme la Rose blanche de Hambourg, s’opposant ouvertement à Hitler. A l’époque, détourner « Sieg Heil » en « Swing Heil « , c’était déjà un acte héroïque. Le jazz représenta donc un symbole important comme l’explique le tromboniste Albert Mangelsdorff : « Le jazz n’était pas seulement pour nous un symbole de joie de vivre. Le jazz symbolisait la liberté, et représentait donc le contraire de ce qui nous dominait. Les gens qui ne voulaient rien avoir à faire avec les nazis se sont, disons, réfugiés dans le jazz. »

Sources bibliographiques :

3minutes 33 secondes, Esi Edugyan, Liana Levi, 2013.

Le nazisme et la musique dégénérée, espritsnomades.com

Des antinazis méconnus, la jeunesse swing, Jean Luc Bellanger, Le patriote résistant, mars 2017.

Ecrit par Corinne Naidet

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