Biographie et Carrière – Enrico Pieranunzi

ENTRE MUSIQUE CLASSIQUE ET JAZZ, LE PIANO AÉRIEN D’ENRICO PIERANUNZI NOUS ENVOÛTE

Retrouvez L’INTERVIEW #11 de Gilbert d’Alto d’Enrico Pieranunzi, le 18 avril 2015

Nous n’avons pas souvent l’occasion d’assister à un concert d’Enrico Pieranunzi malgré les festivals de jazz qui foisonnent sur la Côte d’Azur, malheureusement peu aventureux… Injustice réparée ces deux dernières années puisque le 18 avril, la scène du FORUM NICE NORD accueille le Maître italien, le contrebassiste Thomas Bramerie et le batteur André Ceccarelli, devenus aujourd’hui des figures essentielles au jazz hexagonal. Nous avions eu également la joie de rencontrer Enrico Pieranunzi lors d’une masterclass en novembre 2012, puis enfin de l’écouter en live, en août 2014, avec Diego Imbert et André Ceccarelli dans le cadre du festival Melting Point au conservatoire de Nice. Un concert inoubliable autour du répertoire baroque de Domenico Scarlatti que les trois complices ont revisité, en improvisateurs, avec finesse et inventivité…

enrico-pieranunzi1Parcours. Enrico Pieranunzi débute sa carrière au milieu des années 70 et accompagnera en tournée la fine fleur du jazz (Kenny Clarke, Johnny Griffin, Chet Baker, Art Farmer, Lee Konitz, Jim Hall, Paul Motian, Phil Woods, Charlie Haden, Billy Higgins…), tout en faisant évoluer ses propres projets : notamment, son Space Jazz trio, avec Enzo Pietropaoli (contrebasse) et Fabrizio Sferra (batterie) puis très vite, des formations internationales dont il est le leader. Parallèlement à sa pratique du jazz, il se produit en tant que concertiste, voire même chef d’orchestre et enseigne le piano classique. C’est peut-être cette connivence avec la musique classique qui lui a permis d’acquérir ce toucher incomparable, cette aisance harmonique et mélodique alliée à cette ouverture d’esprit constante. Il développe ainsi un langage très personnel qui nous a d’emblée captivé, il y a maintenant presque 20 ans… Près de 80 disques jalonnent son parcours. Nous en connaissons intimement certains dont la magie continue d’opérer en nous.

Trios. Il y a tout d’abord « son trio de coeur », comme il aime à le nommer, avec le batteur Joey Baron et le contrebassiste Marc Johnson. 24 ans de collaboration qui ont engendré des disques marqués par une complicité féconde, un lyrisme respirant qui ne tombe jamais dans la sensiblerie mais nous tient en haleine, à chaque instant. A écouter sans modération : «Deep Down» (1986), «Untold Story» (1993), «Ballads» (2006), «Live in Japan» (2007), «Dream Dance» (2009). Et puis par la suite ou parallèlement, d’autres configurations comme « Seaward » avec André Ceccarelli et Hein Van De Geyn, «Permutations» (2012) ou « Stories » (le dernier opus) avec Antonio Sanchez et Scott Colley. Autant de moments dont la richesse et l’émotion musicales nous ont toujours comblé, voire bouleversé…

Duos. Des rencontres alchimiques avec Jim Hall Duologues »), Marc JohnsonThe Dream Before Us »), Paul Motian (« Doorways »), Lee KonitzSolitudes ») où à chaque fois, la grâce donne des frissons et nous ramène à cette poésie de l’instant qui caractérise les grands improvisateurs.

Solo. Empreint d’une mélancolie toute aérienne, «Parisians Portraits» (1990) nous a également énormément touché. Rien de sombre cependant, juste une tendresse vive qui continue de creuser en nous ses chemins de lumière. Enrico Pieranunzi nous en a parlé lors de notre rencontre : «Il s’agit du premier CD que j’ai enregistré en France (pour le label Ida). Il représente pour moi une étape décisive. A partir de ce moment, j’ai commencé à composer d’avantage et j’ai réalisé qu’un caractère très mélodique marquait mes compositions, mon expression et apportait une atmosphère particulière à mon univers. Même si j’ai toujours beaucoup aimé le rythme du bop, tout ce qui m’enracine dans le jazz, cet aspect mélodique est devenu de plus en plus prégnant chez moi. C’est aussi un disque qui m’a donné d’avantage de visibilité en France. Je suis très reconnaissant envers Philippe Vincent, le producteur du label Ida, il m’a aussi permis d’enregistrer un duo avec Marc Johnson et a réédité mon premier CD avec Chet Baker « The Heart of The Ballad ».

Musique classique. Deux disques (solo) sidérants consacrés à Scarlatti, Bach et Haendel : « Pieranunzi Plays on Domenico Scarlatti » (2008), « Pieranunzi Plays Bach Haendel Scarlatti » (2011). Ils contiennent, semble-t-il, la quintessence de l’art dEnrico Pieranunzi : une liberté expressive qui s’accompagne d’une attention extrême à la forme la plus juste qui soit. Une perfection formelle qui laisse circuler la vie, intensément, de manière bouleversante. Enrico Pieranunzi s’exprime sur son rapport à la musique classique et sur ces deux opus : « Ces deux projets sont importants pour moi. Je n’ai pas effectué de passage du classique vers le jazz : j’ai commencé dès mon plus jeune âge les deux disciplines conjointement, et toute ma vie, j’ai maintenu les deux voies parallèles. Bien sûr, l’image publique reste celle du jazzman mais la pratique du classique demeure importante pour moi. J’ai d’ailleurs enseigné le piano classique de 1973 à 1998. Je n’ai jamais abandonné la musique classique et l’aime autant que le jazz . J’adore Gabriel Fauré ou Bach autant que Bill Evans. Quand il y a de la puissance émotionnelle,  de la capacité à construire de belles formes, de l’intensité, peu importe le langage musical utilisé. Ces deux projets autour de Scarlatti, Bach et Haendel m’ont donc permis de dévoiler cette face un peu cachée de ma personnalité musicale, cette autre vie, cette autre voie. Pas complètement cachée tout de même car elle est perceptible depuis longtemps : les critiques, les amateurs de ma musique disent que le son, le toucher de mon piano témoigne d’un héritage classique indéniable. J’ai donc clarifié les choses et allié les deux disciplines. Je ne l’avais pas fait auparavant car l’on peut tomber facilement dans le mauvais goût en alliant jazz et classique. Cela me paraissait périlleux d’un point de vue esthétique mais je m’y suis toutefois risqué. Ma démarche ne procède pas d’une improvisation réellement jazz. J’utilise une technique d’impro liée partiellement au jazz mais aussi à la musique contemporaine, j’espère ainsi avoir trouvé une clé. Ces disques ont eu une très bonne réception et cette manière d’aborder l’improvisation a suscité beaucoup d’intérêt. Cette ouverture marque vraiment un tournant dans mon activité musicale… »

Cinéma. « Mon expérience avec le cinéma a commencé quand j’étais très jeune en 1973. J’avais, à l’époque, une grande activité de musicien de studio : j’ai beaucoup joué avec Morricone. Je suis le pianiste dans « Cinéma Paradiso » ou dans certains films de Sergio Leone comme « Une fois l’Amérique ». Cela a été pour moi une incroyable expérience… J’ai aussi joué de nombreuses bandes sonores et j’en ai écrit quelques unes pour des comédies italiennes. Il y a une dizaine d’années, ma production (Camjazz) m’a demandé deux disques dédiés à Morricone (« Play Morricone 1 & 2 ») et un autre à Fellini (« Fellini Jazz »). Je ne sais pas si l’on peut traduire une émotion visuelle par le son mais la liaison me semble être la narration, un thème sonore que l’on développe et qui évoque l’atmosphère du film. C’est une sorte de magie que l’on tente de transférer dans la musique. »

Magie, c’est le mot sur lequel nous aimerions finir tant il résume bien l’art de ce grand pianiste…

Jazzact du 15 avril consacré à Enrico Pieranunzi (Agora FM Côte d’azur)

Trio Enrico Pieranunzi, le samedi 18 avril 2015 FORUM NICE NORD à Nice avec Fred d’Oelsnitz trio

Line up : Enrico Pieranunzi, piano / Thomas Bramerie, contrebasse / André Ceccarelli, batterie

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Ecrit par Geraldine Martin
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