#Interview de Philippe Petit

LA VIE… LE JAZZ… LA MUSIQUE… PARIS… : Une interview du guitariste niçois Philippe Petit réalisée par son élève Hugo Dangel pour son mémoire de Licence en Musicologie à la Faculté de Nice – Avril 2020.

Vous arrivez à Paris en tant que musicien de Jazz dans les années 70, le contexte était-il aussi agité par les mouvements sociaux qu’il ne l’était aux USA ?

Philippe Petit : Oui, c’était la fin des trente glorieuses, d’une certaine période douce et d’insouciance euphorique… L’après-guerre, le Baby Boom ! Tout était encore assez facile en France pour trouver du travail ; il y en avait encore. C’était juste le début du déclin de la sainte industrie et de la foi en elle. La fin des industries du Nord (mines, charbon, acier, filatures…) et de l’Est commençait… Beaucoup de grèves âpres; de fièvres… les mouvements ouvriers et sociaux étaient très forts alors, très suivis, engendraient beaucoup de remous et débats dans la société ! Ils étaient accompagnés par les lycéens, employés, cadres… la solidarité était peut-être plus grande qu’aujourd’hui, les gens se sentant plus concernés, impliqués !? C’était aussi l’après 68 ! La Libération sexuelle; les femmes avaient gagnées des avantages, faisaient mieux entendre leurs voix… La voix de leur Désir… Elles voulaient leur part ! Ne plus subir ! Être égales à ces mecs : hommes qui profitaient de tout depuis toujours – Raflaient la mise ! La conscience politique était sûrement plus mature, les pieds dans la réalité… mains dans le cambouis… il y avait moins d’égoïsmes. Les gens s’entraidaient plus. Il y avait moins de peurs, suspicions, de fractures dans la société.

En tant que musicien de Jazz, avez vous ressenti durant cette période une perte de public et de concerts due à l’émergence de musiques telles que le Funk ou la Fusion ? Les musiciens de Jazz ont-il dû s’adapter à cette nouvelle situation ?

Philippe Petit : Pour le Jazz c’était catastrophique à cette époque ! Il fallait vraiment avoir la Foi ou être inconscient ! J’avais-étais les deux !!! Il n’y avait presque plus de clubs à Paris (3 !) ni en province; pas de réseaux pour les concerts; presque rien à la radio et à la télé (ce qui n’a pas beaucoup changé). La musique pop était passée par là, les grands festivals (Woodstock; Île de Wight; Monterey…), les gens, les mentalités, la manière de consommer, s’habiller changeaient… De toute façon, je n’ai jamais pu-su faire autre chose que la musique… n’envisageais rien d’autre… Alors !? Je suis monté à Paris à l’âge de vingt et un an, en Mars 1976… Seul avec ma guitare à l’hôtel Crystal et l’espoir de vivre enfin, loin de ma famille qui m’étouffait… voulant profiter du Vent de Liberté qui soufflait fort !… et Tenter ma Chance. J’écoutais Tout ! Toutes les Musiques ! Il y avait un énorme Brassage ! Tout était Nouveau ! Frais ! Exaltant ! Excitant !… On croyait au(x) Possible(s) !!!… À l’Avenir ! Sans peur(s)… J’adorais tous les grands groupes des sixties : Hendrix Experience; Cream; Led Zep; Beatles; Stones; Chicago; Blood Sweet and Tears; Pink Floyd; Doors; Yardbirds, Jeff Beck… Mais surtout la musique des Blacks, le Rythm&Blues : Otis Redding; James Brown; Wilson Pickett; Ike et Tina Turner; Stevie Wonder… Le Blues : B.B. King; Freddy King… Même si je ne joue pas ces musiques je les aime; elles sont en moi, m’inspirent en tant que musicien de Jazz, improvisateur… Elles m’habitent de leur chant sauvage. J’aime leur énergie saine, franche, leur tonicité.

Est-ce que au contraire vous avez ressenti que ces nouvelles musiques ont permis aux musiciens de Jazz de re-gagner de l’intérêt auprès d’un public plus large, notamment grâce à des musiciens comme Miles Davis (période électrique) ou Herbie Hancock qui ont fait le pont entre le Jazz et les « nouvelles musiques »?

Philippe Petit C’est indéniable ! Pour les générations plus jeunes (j’en étais mais on écoutait du Jazz chez moi; j’y étais initié à mon insu) ils ont porté la Bonne Parole; ils venaient tous de Là ! De cette musique. Herbie Hancock, Keith Jarrett, Chick Corea, Joe Zawinul, Georges Duke parlaient tout le temps dans leurs interviews de Bill Evans, Bud Powell, Thelonious Monk, Art Tatum… John Mc Laughlin, Larry Corryell, Pat Metheny, Philip Catherine citaient Tal Farlow, Django Reinhardt, René Thomas, Grant Green, Wes Montgomery, Kenny Burrell, Jim Hall… Tous disaient aussi tout ce qu’ils devaient à Miles Davis (ses orchestres ont toujours été une sorte d’école-laboratoire !), Charlie Parker, John Coltrane, Clifford Brown, Sonny Rollins… etc… Certains grincheux disent que non, mais pour moi ils ont fait du bien au Jazz; l’ont ressourcé avec justesse, en fusionnant la sophistication du Jazz avec l’énergie brute du Rock.

Selon vous, le retour du be-bop au centre de la scène Jazz est-il dû à une volonté des musiciens, du public, à d’autres facteurs extérieurs, ou bien à une mélange de tout cela ?

Philippe Petit : Le Retour au Be Bop c’est vers le milieu des années 1980. À Paris du moins où plein de musiciens américains créateurs du Jazz vivaient déjà par intermittence depuis les années cinquante. Chet vivait souvent là à l’hôtel; Dexter parfois; Bud Powell y avait vécu; Johnny Griffin habitait dans le Poitou à côté de chez Maurice Vander et Eddy Louiss… et combien d’autres ! Je pense que c’est plus un phénomène d’époque, tout était en place en ces temps pour que le feu reprenne ! Je ne crois pas du tout à la préméditation. Ça devait être ainsi. Tout était en place sur l’échiquier : La sortie des films Bird de Clint Eastwood; Dexter avec Autour de Minuit de Bertrand Tavernier; Chet pour Let’s Get Lost… le feu couvait, on était prêts. Je crois aussi que certaines époques ont besoin de relectures fulgurantes, de remises à plat et sur le métier pour que ça reparte (du bon pied !?); que les choses évoluent à nouveau. Tout s’était passé si vite ! La Comète Bird !!! Lui, si Sophistiqué… So Hip ! Les gens-musiciens, public, critiques – n’avaient pas eu le temps de suivre, d’assimiler, de digérer cette musique…

Le jazz à ce moment là commençait-il à devenir « institutionnalisé » et « formaté », les musiciens dont vous faisiez partis, ont-il eu besoin de « récupérer » leur musique et de lui redonner vie ?

Philippe Petit : Le Jazz Be Bop (en fait ce qui était appelé le Jazz Moderne dans les années cinquante), à ce moment là, dans les années 70, était moribond. Très peu de musiciens jouaient ce style : d’où peu de public; plus de clubs (3 à paris en 1976); pas de festivals à part deux ou trois; le Jazz absent des médias… De plus, cette musique était cataloguée musique de vieux; pour certains complètement déconnectée de la réalité de la société de cette époque ! Tout a commencé à s’institutionnaliser, à se formater (et là pas dans le bon sens à mon sens !) dans les années 80; quand tout ça s’est remis à être juteux ! Certains flairaient la galette ! Là, avec le Be Bop Revival, plein de gens ont recommencé à tourner autour de cette musique tels des corbeaux, oiseaux de proie : critiques; fans douteux; managers véreux; politiques… Surtout, plus que tout, je ne supporte pas les institutions ! Les conserves… Pour ma part je n’ai jamais rien récupéré ni prémédité; ne peux jouer que ce que je sais jouer, le peu que je sais, sans triche – ce que je suis, ma petite histoire… petite musique… Après !?… Si ça plait tant mieux !… sinon ?… Même si c’est peu, c’est comme ça.

Musicalement, comment fonctionnait le « be-bop revival », les codes musicaux étaient-ils ceux instaurés par Parker, Dizzy, Miles etc… Au delà de la tradition, y-avait-il une volonté de rajouter de la modernité à cette musique ?

Philippe Petit : Oui bien sûr, les codes, tout partait de là, de cet amour fou que nous avions, nous jeunes musiciens d’alors pour cette musique et ses créateurs. C’était tout de même déjà un peu anachronique à cette époque de rejouer avec costume, chemise, cravate, souliers cirés… Une sorte de Jeu. Mais surtout, il y a eu la Chance incroyable pour nous d’avoir pu croiser et côtoyer ces derniers grands créateurs du Jazz; d’avoir joué avec eux soir après soir en tournée ou en club ! Mais Tal Farlow, Barney Wilen, Joe Albany, Maurice Vander, René Urtreger, Pierre Michelot, Jean-louis Viale, Al Levitt, Eliot Zigmund… sont, étaient des êtres très ouverts ! On jouait c’est tout ! En ce qui me concerne, je jouais ce que je voulais, comme j’avais envie de le jouer… comme j’ai toujours fait. La Liberté du Jazz est Là ! Ils me la laissaient, me l’Offraient. Merci à Eux ! Je jouais avec Sérieux, dans un Respect bien sûr, de la Tradition et des ainés musiciens avec qui je me produisais alors… mais il en est de même aujourd’hui. Tout repose sur La Confiance. Je pense que quoi que l’on fasse, désire ou puisse croire, on est profondément de son époque, attaché à elle; c’est une fatalité et c’est Heureux : Être dans le Présent. Là et pas ailleurs ! Le Brassage inouï des Générations est toujours Salutaire avec cet Échange fécond de savoirs innés, naturels, travaillés, appris, suggérés… Partagés… Forces en Contact qui Brassent Ensemble… Étincelles de Vies !

Dans votre carrière et au fil de vos albums et concerts avez vous eu le sentiment d’appartenir à un mouvement musical tel que le be-bop revival, ou bien était-ce un terme qui n’était que très rarement employé ?

Philippe Petit : Je l’ai vécu bien sûr, ce Be Bop Revival, et fier d’en être ! avec Tal Farlow, Barney Wilen et quelques autres… en live et sur les CD : La Note Bleue; Flasback; Standards Recital… Mais tous mes albums sont conçus avec des compositions originales, ce depuis mon premier disque Parfums et ensuite sur For All The Life/Écoute; Impressions Of Paris; Guitar Reflections… Après, ce terme de « Be Bop Revival » n’était pas trop employé par nous les musiciens; j’étais plutôt le guitariste de Barney Wilen; le complice de Tal Farlow… etc… Je jouais aussi beaucoup dans mes projets personnels en Duo avec Miroslav Vitous et d’autres contrebassistes; et en Trio avec Eliot Zigmund et d’autres batteurs… Je pense que toutes ces étiquettes, c’est plutôt de la sauce, de la came à critiques ou universitaires… leur fond de commerce pour leurs papiers ou leurs thèses ! Nous les Musiciens, on a suffisamment de travail à fournir à la maison, tant à faire que ça nous passe un peu au-dessus de la tête ! C’est une telle Passion de chaque instant !!! Quand on est Musicien de Jazz et que l’on fait des concerts, on devient par la force des choses une bête à jouer… 3, 4 ! et c’est parti !… En Avant ! On est dans Le Faire. Dans l’instant. Bête à jouer : Est-ce un bien !? Un mal ?… Ça c’est une autre question-réflexion, une autre histoire à développer… il faut tellement de réflexes pour jouer au mieux cette musique d’interaction. Jouer c’est l’Action ! Un principe de vie qui nous dépasse… Fulgurance(s) ! Un tel investissement de vie !… À chaque instant !… Jour et Nuit !… Est-ce vraiment un choix ? Avons-nous le choix ? Je ne crois pas.

Certains musiciens de passage à Paris ont il eu une influence sur ce mouvement musical ? Je pense notamment à Chet Baker ?

Philippe Petit : Oui, Chet, j’en ai parlé plus haut. Tous ces grands musiciens de Jazz, inventeurs d’un idiome sont venus nous apporter la bonne et belle parole, nous éduquer d’une certaine façon… je dis surtout cela pour les générations juste avant moi, plus exposées – celles d’avant guerre et d’après guerre – qui ont pu profiter en les accompagnant, de jouer soir après soir dans les clubs à Paris avec Chet, Dexter, Griffin, Bud, Don Byas, Kenny Clarke, Jimmy Gourley, Clifford Brown, Miles, Rollins, Philly Joe, Sam Woodyard, Bill Coleman, Steve Lacy, Jarrett… Quand le Revival a eu lieu, Chet était là; il en a été l’un des premiers acteurs et bénéficiaires… Il était déjà un Mythe de son Vivant ! Comme Barney Wilen après La Note Bleue.

Comment a évolué le milieu du Jazz dans cette période, l’avez vous ressenti comme une évolution positive ou négative ?

Philippe Petit : C’était positif dans le sens où il y avait beaucoup de travail et c’était très bien payé; avec des conditions royales pour les transports, l’accueil, le respect ressenti à notre égard. C’est là que l’enseignement du Jazz a commencé à fleurir, à se mettre en place, petit à petit. Un nouveau public, des nouveaux musiciens, critiques, patrons de clubs ont émergé… Mais j’ai vu alors, senti, constaté également à cette époque – avec l’engouement suscité par ce renouveau – les mentalités changer; et pas que dans le bon sens vu l’appât du gain. On commençait à parler un peu trop de rentabilité, d’efficacité, de publicité, du culte de la personne… et de moins en moins de musique ou du plaisir simple de faire, créer, de jouer. Je sentais que le monde allait changer et que cette musique que j’aime – dans sa simplicité qui n’exclut pas la complexité – allait se laisser rattraper par les sirènes du vedettariat, les miroirs aux alouettes du Star Système; l’Argent pour l’Argent de notre temps et tout ce qui fait l’univers pourrissant de nos échelles de valeurs capitalistes en fin de course… avec son lot de combats d’égos exténués ! de compétition effrénée ! les performances ! la détresse ! tout ce trop qui ne sert à rien, surtout pas à rendre Heureux… engendrant la Solitude… Là, je ne parle pas de la musique pure ou des jeunes musiciens d’aujourd’hui – il y en a des merveilleux et la musique avance, progresse dans le bon sens – mais je pense à Tout ce qui entoure ce métier qui d’ailleurs n’aurait jamais dû en être un ! Enfin. Voilà : Quoi qu’il en soit, quoi que l’on fasse pense dise : Nous y sommes. – OÙ …?!?…

Avez vous ressenti que les musiques « actuelles » en particulier le Funk créaient de l’ombre ou de la concurrence au Jazz ?

Philippe Petit : Non. Je ne crois pas qu’il faille raisonner de cette façon-là. Si on pense ainsi on est encore dedans… en plein dans tous les travers dont je parle à la question précédente ! Le Commerce ! La Concurrence ! Le Combat de coqs ! Le Far West ! Tu me fais de l’Ombre !?… Qui dégaine le plus vite ?… Qu’est-ce qui est Mieux ? Qui est Le Meilleur !? Ce qui compte à mon sens c’est la Sincérité du créateur, du musicien; sa Vérité; l’Émotion transmise à ceux et celles qui sont là pour la recevoir. Avec Coeur ! Âme et Spirit ! Il y a de la place pour Tout et Tous ! Toute Musique, si créée, jouée avec coeur, tripes, intelligence, humilité, confiance, sensibilité, force… m’intéresse; a sa place sur la carte des possibles : Le Funk, le Rock, Rap, Folk, Jazz Rock, la Fusion, la Chanson, le Traditionnel, le Classique, Contemporain, le Blues, Rythm&Blues, Jazz, Musique Concrète, Assistée par Ordinateur… etc… Pourquoi avoir de telles oeillères, se cadenasser dans ses à priori de pacotilles ! Restons à l’écoute des émotions ressenties… de ce qui se passe autour de nous, en nous. C’est tout. Réceptifs à ces mondes authentiques proposés à notre esprit, nos oreilles : baumes de l’âme. On ne va pas là aussi, vifs, nous parquer, empaqueter, aseptiser, ammoniaquer, éponger, rincer, presser, martyriser… Nous demander encore de choisir ce qui est mieux ? meilleur que le copain ? lave plus blanc que qui que quoi ?

Une petite anecdote ?

Philippe Petit : Une petite histoire d’image : Coller à une image… à son image… à celle que l’on croit être la notre… à celle que l’on nous colle… Qui s’y colle !?… Barney (Wilen), après le grand succès de la Note Bleue (un livre couplé avec en première mondiale la bande son pour une BD), prenait un soin extrême avant de monter sur scène, de bien cirer ses chaussures qui devaient étinceler pour coller au mieux avec la BD qui parlait de ça – les auteurs l’ayant affublé de cette méticulosité – Barney tout persuadé que ses fans, son cher public, avaient en club ou en concert les yeux rivés sur ses chaussures qui se devaient d’être désormais irréprochables, immaculées, sans aucune impureté ni avoir la moindre ombre qui aurait pu ternir sa réputation, son image à jamais gravée sur ces planches de papier glacé. Images qui le montraient pourtant dans l’histoire mourir la seringue à la main, l’aiguille dans la veine. AH ! HUMANITÉ !

Pour terminer, une dernière réflexion. Comme dans la vie tout est rêves et fantasmes, je dois dire que je n’ai jamais eu celui d’aller vivre à New York que je connais bien et où j’ai joué. Je vois en noir et blanc et c’est la ville lumière, Paris et sa poésie, qui a toujours été le centre point d’ancrage de mes faveurs et désirs; la boussolle de mon attention soutenue. Jamais déçu par cette ville qui me fait toujours autant d’effet, m’époumone, m’étreint, comble ma soif d’émotions-sensations à chaque angle de rue, petit troquet, vitrine, cimetière, parc, belle passante… Voir ces ciels anthracites au dessus des ponts-nuages pommelés qui s’effilochent; les quais et cours pavés luisants après la pluie; des mollets inconnus aussi vite aperçus que déjà disparus… m’émotionne toujours autant, suffit à combler les manques qui m’animent – M’apaise telle la Simple et Saine Contemplation de la Nature.

Propos de Philippe Petit recueillis par Hugo DANGEL les Vendredi 24 et Samedi 25 Avril 2020 à Nice pendant le confinement – donc masqués…

Ecrit par Imago records & production

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