#Interview Leïla Martial : Vocaliste multi timbrée

C’est le retour très attendu et 100 % acoustique d’une chanteuse de jazz véritablement atypique, ses influences allant de Barbara et Bjork à Éric Dolphy et Émile Parisien… en passant par Maurice Ravel !

Le 25 mai 2020, Leïla Martial et son groupe BAA Box aura dû présenter leur dernière aventure musicale, l’album Warm Canto au Forum Nice Nord à Nice. (Mais ils reviendront à Nice en 2021 !)

Avant tout, que signifie au juste, vocaliste « multi-timbrée » ?

Leïla Martial : L’appellation de vocaliste « multi-timbrée », je trouve que c’est assez parlant. Dans ce que suppose ce double sens de « multi-timbrée », du fait que je suis aussi clown ! À côté, j’utilise la voix comme un terrain de jeu où tout est possible… Ou comme un instrument de tous les possibles. C’est un espace d’exploration ; la voix pour moi est un perpétuel mouvement. Je suis tout le temps en train d’apprendre de la voix… Et je m’amuse avec depuis que je suis toute petite. Chanter me procure de la jubilation. C’est si communicatif que, manifestement, je me régale sur scène. De plus, c’est très surprenant, pour moi la première, de jouer avec d’autres musiciens, d’improviser, d’être dans l’instant, de découvrir des sons, de répondre musicalement aux propositions des autres musiciens. En fait, c’est tellement vivant qu’effectivement, un genre de jubilation va avec. J’aime toutes les nuances de couleurs. Je visite des extrêmes.

Parlez-moi de votre dernier album en date ; étrangement, il commence avec un chant pygmée.

Leïla Martial : Ce disque se nourrit d’une vraie volonté de revenir à la source. Donc, quand j’utilise la voix comme un instrument, je cherche les extrêmes pour que la voix devienne pédale d’effets… presque ! La pédale d’effets principale, pouvoir explorer le timbre du jeu, toutes les possibilités de timbre avec la voix. Donc, cet album était pensé comme ça, avec des instruments acoustiques, sans guitare électrique, mais avec des voix, ukulélé, guitare classique et batterie. Par contre, les pistes de chaque instrument ont été multipliées pour donner de l’effet et de l’apesanteur à la musique mais uniquement acoustique. En plus, opter pour des effets, c’est prendre un tournant qui veut dire aller vers une nouvelle direction artistique, mais avec les mêmes personnes et le même esprit. Donc, on a enlevé les pédales d’effets et plein d’autres choses. Mon idée était d’aller le plus loin possible avec peu de choses, le minimum possible. C’est comme ça que j’envisage la voix aussi. Je trouve qu’on l’a tous en soi.

Petit détail qui clashe: votre musique baigne dans une ambiance chaleureuse et même chaude, mais, sur la pochette de l’album, vous posez dans un environnement polaire !!!

Leïla Martial : Tout ça c’est histoire de clair-obscur, de pied de nez… En même temps, il y a quelque chose de naturel dans cette atmosphère. C’est très cohérent avec le concept de l’album : un voyage, une traversée, le tour du monde vocal. Cette image, pieds dans la neige, symbolise le titre de l’album, Warm Canto. Par ailleurs, on a travaillé sur cet album en Auvergne pendant qu’il faisait très froid !

La composition de Mal Waldron, Warm Canto, est la seule des 12 chansons de l’album qui n’est pas de vous !

Leïla Martial : C’est plutôt un morceau d’Éric Dolphy. En fait, Éric Dolphy a une influence sur moi. C’est aussi un clin d’œil au monde du jazz… d’où je viens… d’où on vient tous les trois, dans la boucle… et pour garder le fil… et ce morceau est très beau, tout simplement.

Quelle est la signification de BAA Box ?!

Leïla Martial : BAA Box est la boite à « meuh », sauf que là, c’est le cri de la chèvre. Donc, c’est la boîte à baa, en gros. Et l’idée était de vivre le chant de cette façon, vivre la voix comme quelque chose d’impulsif, d’incontrôlable, comme le cri d’une chèvre…. Dès l’ouverture de la boîte, on reçoit ça en pleine face. Ce que je fais s’accompagne aussi toujours d’une dimension joueuse, comique… ludique en fait. Il y a une certaine gravité, mais gravité dans le sens que, pour moi, c’est extrêmement important le travail de la voix, c’est précieux… En même temps, je suis dans le ludique. L’enfant qui s’amuse est toujours là.

C’est aussi la boite de pandore !

Leïla Martial : Exactement… On a appris Anima Totem. Je me bien amusée avec ça. J’ai appris que la chèvre est indisciplinée…Elle a le sens du collectif, mais, à la fin, elle ne sera jamais gérable, mais elle est aussi aventureuse et casse-cou, allant dans les coins interdits. Et puis dans BAA Box, l’idée du traitement de la voix n’est pas de faire dans l’esthétique. Nul besoin de faire la jolie et la gracieuse. On essaye d’aller chercher un son et une façon de chanter qui pourrait comporter la grâce et la laideur à la fois… et le désespoir et l’extrême joie… toutes les facettes en fait… toutes les facettes du monde.

Quelles sont vos influences musicales ?

Leïla Martial : C’est vraiment vaste. J’ai grandi dans une famille de musiciens classiques. J’ai commencé le jazz très tôt, car j’étais au collège à Marciac. J’écoutais les chansons françaises ; Barbara, Brel. J’ai beaucoup écouté la musique tzigane (une de mes premières passions). Mais, en général, je suis très attirée par les chants de musique du monde… surtout les peuples nomades.

Vos concerts sont entièrement improvisés ?

Leïla Martial : Non, les morceaux sont écrits, mais, une fois que les thèmes sont introduits et le groove et l’harmonie installés, on commence l’improvisation. Ensuite, on repart sur la structure… et ça va nous amener vers une autre partie encore et on va ouvrir. Donc, il s’établit un déroulé qui est écrit et, à l’intérieur de ça, on se retrouve.

Le concert à Nice (en 2021 !) sera-t-il très différent de votre précédent passage ?

Leïla Martial : L’énergie de groupe reste explosive, avec les moments de transe, les recherches sonores. Mais il y aura beaucoup de voix. Ça, c’est vraiment la différence principale. Beaucoup plus vocale et proche de la musique du monde en terme d’esthétique. On appelle ça « Musique du monde imaginaire ». La filiation jazz est moins dans l’esthétique que dans l’exploration et l’improvisation. Je m’estime issue du jazz, par la dimension d’improvisation… c’est ce qui m’a amené à lui. Je ne fais pas de swing et je ne me considère pas comme une chanteuse de jazz (standard). En revanche, l’improvisation est vraiment mon champ de bataille.

www.leilamartial.com

Ecrit par Jean-Pierre Lamouroux

Les commentaires sont fermés.

  • Les concerts Jazz et +

  • Le Jazzophone