#JAZZ&HISTOIRE Treme

TREME par Monique Bornstein

Créé vers 1800, Treme est le quartier qui sonne le mieux au monde, celui où est né et où a grandi Louis Armstrong.

Situé au cœur de La Nouvelle-Orléans, il est le plus ancien quartier Africain-Américain des États-Unis. A l’époque de l’esclavage aux États-Unis, c’est là que vivaient les noirs non-esclaves. 

Lieu symbolique de la culture afro-américaine et créole, Treme est le plus ancien lieu de mémoire de l’histoire du peuple noir d’Amérique, avec une identité créole forte (cultures indienne, africaine, espagnole, française, conservées et transmises grâce au «code de Louisiane» interdisant de séparer les familles).

Le nom de Treme vient d’un français, Claude Tréme, qui rendit la liberté à ses esclaves et leur a permis d’accéder à la propriété.

Treme est le symbole de la différence. Ghetto noir, il célèbre la tradition des cultures diverses. Il jouxte le très touristique quartier français blanc, étranger à la culture africaine et aux traditions.

Les gens de couleur vivent ici depuis des décennies, à l’abri du regard des blancs. Les fleurs sauvages poussent le long des barrières, on entend  le chant des oiseaux les maisons de bois surnommées «shutgun;» sont un peu délabrées, les décors sont des tableaux d’un monde qui n’existe plus.

Chaque jour les habitants vont travailler dans le French Quarter, comme domestique, comme musicien, puis chaque soir le Treme s’anime à nouveau. On s’installe sur le pas des portes, les chaises sur le trottoir. Les jeunes, élégamment vêtus, des bagues aux doigts, ont la démarche chaloupée, les vieux palabrent. Ça sent bon les saucisses et le poulet grillé, on rit, on chante, on danse, la musique est omniprésente. Les choses les plus tristes et les plus sérieuses, les chagrins les plus profonds se dissolvent au nom de la musique.

Chaque dimanche, les gens vêtus de leurs plus beaux atours viennent prier avec ardeur dans la petite église Ste Augustine créée en 1841 pour les esclaves affranchis. C’est la plus ancienne paroisse des États-Unis pour Afro-Américains. La communauté se rassemble, chants, rythme des tambourins, claquements des mains…

Tout près, Congo Square, devenu le parc Louis Armstrong (à l’origine, marché aux esclaves, puis lieu où ils se réunissaient le dimanche pour chanter, danser, prier, rencontrer la prêtresse vaudoue Marie Laveau, le code noir régissant la Louisiane leur accordant le dimanche chômé).

Treme est le haut lieu d’expression du jazz et du rock and roll.

Les enfants sont élevés au son des brass-bands. Ils apprennent la musique comme d’autres apprennent à lire.  Tout petits ils différencient le tempo des fanfares, des défilés d’Indiens durant le Mardi gras, des jazz funerals. A 4 ans, un tambourin dans les mains, à 7 ans, une trompette dans la bouche, chaque gosse gagne son argent de poche en faisant des claquettes dans le Vieux-Carré.

Tous ont au moins un enfant ou un frère musicien devenu célèbre.

Les parades parcourent les rues. Les fanfares servent de stimulant pour célébrer les activités traditionnelles. Les gens dansent en faisant tourner des parapluies et des mouchoirs au rythme de la fanfare. Au 18e siècle, la « second-line« , bande armée de couteaux, rasoirs, manches de hache, revolvers, était prête à en découdre pour protéger la fanfare (la première ligne).

Les tambours rythment les danses et amènent à la révolte.

Les instruments de musique (tubas, clarinettes, trombones, trompettes) datent du temps des fanfares militaires de Napoléon, car les créoles, en tant qu’esclaves affranchis, avaient accès aux instruments.

Ici des familles entières de musiciens, de génération en génération, se côtoient, jouent ensemble. Tous sont multi-instrumentalistes, tous sont cousins, tout s’enchevêtre.

Dans le Treme, le visible et l’invisible cohabitent. On pratique les rites vaudous, on fête les Mardis-Gras indiens (noirs affranchis par les Indiens qui revêtent des plumes et chantent la révolte des esclaves). On danse avec les morts (jazz funerals).

Après le passage de Katrina (1995), le quartier a subi d’importants dégâts alors que le très touristique quartier français n’a pas été touché.

La pauvreté est encore plus visible, la ségrégation raciale s’accentue, échec économique, méfiance, ressentiment.

Le Klu Klux Klan veille au grain, «je peux me retrouver au pénitencier simplement parce que les policiers l’ont décidé».

La spéculation immobilière crée un profond malaise social. « Des nouveaux habitants s’installent ici et n’aiment même pas la musique! »

La superbe série télévisée «Treme» fait découvrir ce quartier de façon réaliste, et  nous rappelle que cette musique reconnue dans le monde est leur héritage. Treme, lieu mythique, est le véritable berceau du patrimoine culturel musical des États Unis.

Ecrit par Monique Bornstein
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