#LiveReport : FESTIVAL JAZZ DE SAINT LOUIS DU SÉNÉGAL #31

Après un retour en force en 2022, le Festival de Jazz de Saint-Louis réitère l’expérience. La cérémonie d’ouverture de la 31e édition a eu lieu hier, jeudi 25 mai 2023, sur le bateau Bou El Mogdad, en présence de plusieurs autorités de la ville tricentenaire. Tout comme les précédentes éditions, le festival a pour objectif de promouvoir la culture et de favoriser le développement touristique, culturel dans la localité. Pour cette année, l’évènement culturel rendra un vibrant hommage au compositeur et pianiste américain Randy Weston, décédé en 2018.

«Nous voilà réunis pour une édition encore une fois singulière : Tribute to Randy Weston. Nous autres africains, rendons hommage à un autre africain né à Brooklyn et qui, durant toute son existence s’est battu pour la reconnaissance de la civilisation noire, postulat de départ du concert des nations»

a déclaré le président de Saint-Louis Jazz, Me Ibrahima Diop, âme et cœur avec son fidèle Staff, du Festival. Selon Me Ibrahima Diop,

« L’originalité des découvertes sur le plan esthétique, l’intensité des interactions entre artistes et professionnels, la qualité des rapports entre interprètes et spectateurs concourent à faire du Festival International de Jazz de Saint-Louis un haut fait légitime, un récit de la ville où, nous tous réunis, sommes les fiers acteurs d’une histoire commune»

On démarre le 25 soir avec un quartet bien connu en Côte… et pas seulement en Côte d’Azur. C’est Anne Pacéo et son 4et qui ouvre la 31e édition du Festival de Saint-Louis. Quel plaisir de retrouver la batteuse globe trotteuse, toujours aussi accessible, toujours aussi souriante.

Avec le fidèle Christophe Panzani, avec lequel elle instaure toujours un dialogue très serré et d’intense union, la splendide voix de Isabel Sorling qui, avec ses magies vocales, a hypnotisé le public, Auxane Cartigny – un rêveur aux claviers, qui joue on dirait dans une autre dimension, mais toujours l’œil sur les dessins de Anne. Un concert à la tessiture unique où percussions et voix prennent une place centrale. Le soin, la méticulosité aussi une certaine rigueur, artistique comme technique, pendant tout le déroulement du concert. Oui, c’est S.H.A.M.A.N.E.S, le dernier album de cette splendide artiste, tous ses codes, ses styles, toute sa spiritualité, capables d’abattre n’importe quel obstacle cherche de croiser le parcours vers son idéal de monde et de liberté.

H.23 : 25 la place Baya Ndar s’enflamme. Ismaël LO (surnommé le Bob Dylan sénégalais) et toute sa Band sont sur la scène. Sans perdre trop de temps il lance ‘Baykat’ dans lequel il rend hommage aux agriculteurs. Il enchaîne ses tubes dont « La femme sans haine » où il déclare « toutes les femmes sont des reines ». Dans ce contexte de tension politique au Sénégal, Ismaël Lo a profité de l’occasion pour appeler à la paix.


Comme le soleil levant, son concert est allé ‘crescendo’. D’abord tranquille avec la soul et le rhythm’n’blues, les rythmes se sont faits plus rapides jusqu’au «mbalax» (rythme typique de la tradition populaire sénégalaise). Il voulait chauffer la foule et a réussi avec sa voix profonde. Le chef d’œuvre « Manko », sorti il y a 16 ans et dans lequel l’artiste lance un message de paix à l’endroit des acteurs politiques, n’y est pas échappé. Même sensation sur les morceaux « Tajabone » et « Dibi Dibi Rek ».

«Festival de jazz, merci beaucoup. .ce fut un plaisir ». Ces quelques mots sont d’Ismaël Lo après avoir joué le morceau « Sofia ». Visiblement très ému, le chanteur sénégalais et son équipe s’apprêtent à quitter la scène après près de 90 minutes d’un show enflammé mais le public en veut plus. « Non ! Non ! Non », clame-t-il. « Vous voulez que je revienne », rétorque Ismaël Lo.  Le public scande : « oui… ». Le musicien reprend le micro et fait encore ravir les spectateurs de la place Baya Ndar. Important le nombre d’étrangers présent. Venu nombreux, le public, de tous âges, a quitté les lieux avec des étoiles dans les yeux.

On passe à la soirée du 26 mai avec Claude Diallo Quartet et à suivre Antonio Lizana Quartet et son flamenco-jazz.

Claude Diallo débute sa carrière artistique à New York et la poursuivra avec beaucoup de succès pendant 11 ans. Il collabore avec les meilleurs musiciens que la ville peut lui offrir de rencontrer. Sa devise : “Voyager grâce à la musique”. Il effectue ses premiers voyages hors de Suisse dès l’âge de 20 et, par sa curiosité, son admiration et sa passion pour toutes les cultures, il construit un réseau mondial, qui ne cesse de grandir. Il a expliqué comment son père français a été adopté par un soldat sénégalais qui lui a donc donné le nom de Diallo. L’artiste a expliqué avoir toujours été intéressé par cette origine qui le lie au Sénégal et a donc profité du Saint-Louis Jazz festival pour se connecter avec ce pays.


Le pianiste franco-suisse ,avec  une technique flamboyante et  un magnifique esprit d’élan vers les musiciens sénégalais qui jouaient avec lui, Lamine Faye, basse, Djiby Diabaté, balafon, Pape Laye, batterie, à déroulé un répertoire très entrainant très bien mixé entre sa musique (‘Spring is back and so am’ , ‘Haoua’, ‘Bona’) et les compositions de Djiby Diabate (‘Coloduga’ en duo, ‘Tagataga’, ‘Burkina Cameroon’). Et pour l’hommage à Randy Weston le quartet a proposé une version très respectueuse de ‘Little Nile’ (en trio) et ‘Waltz for sweet Cakes’. Un Diallo instrumentalement virtuose, qui fait résonner l’Afrique de Weston à travers des références essentielles, presque symboliques : de la percussion du toucher, à une utilisation « orchestrale » du piano et celle de certaines gammes, de certaines harmonies.

Le temps de placer la plate-forme en bois et c’est le flamenco-jazz de Antonio Lizana Quartet qui démarre. Artiste majeur de ce genre, Antonio Lizana, saxophoniste et compositeur originaire de Cadix en Andalousie, il renouvelle la tradition à travers un style inventif, mêlant jazz, chant et rythmes ibériques. Plus de trois cents concerts dans les derniers trois années, Londres, Barcelone, New York, Shanghai, Casablanca, plus de trente pays dans le monde entier.


Un concert de Lizana, plus qu’un spectacle, est un véritable voyage dans les racines du flamenco et du jazz contemporain, ponctué par des paroles qui témoignent de son engagement social en faveur du développement de la conscience humaine au niveau mondial. Avec lui, le saxophone a définitivement acquis droit de cité dans l’  instrumentarium flamenco. Le mélange de créations purement flamenco et jazz se développent si harmonieusement que le danseur El Mawi poursuit  sa performance d’un rythme à l’autre avec un naturel . Daniel Garcia Diego – au piano, Shayan Fathi – batterie, Arin Keshishi – basse, Mawi de Càdiz – danse et chœur, complètent ce quintet qui a laissé sans doute trace d’un nouveaux parcours  du Jazz.

Samedi 27 c’est surtout le “Tribute to Randy Weston“ qui domine la scène de Place Baya Ndar. Alex Blake, contrebasse – Neil Clarke, percussions – T.K. Blue, sax alto… ça vous rappelle quelqu’un ?  C’était la line-up de Randy Weston le 21 juillet 2018 sur la scène du théâtre de  Verdure pour les 70 ans du Festival Jazz de Nice (F)… Et qui mieux qu’eux pouvait rendre hommage, avec un spectaculaire Sharp Radway au piano, Mr. Randy Weston décédé le 1er septembre de cette même année ?


Le saxophoniste T.K. Blue, connu au début de sa carrière sous le nom de Talib Kibwe, dédie The Rhythms Continue, une vaste suite de 19 morceaux, à son chef d’orchestre et mentor de longue date, le maître du jazz du NEA, le Dr Randy Weston. Composé d’œuvres de Blue, de Weston et de son arrangeur de longue date Melba Liston, Blue utilise un ensemble beaucoup plus restreint que Weston ne l’a fait sur bon nombre de ses propres albums.


À l’instar de Blue, qui a fait partie de l’African Rhythms Band de Weston pendant 38 ans, la plupart du temps en tant que directeur musical, les accompagnateurs connaissent bien les rythmes africains, la sensibilité du jazz et l’intensité de l’esprit qui a fait la renommée de Weston. Le bien-aimé Weston, également connu sous le nom d’ambassadeur américain de la musique africaine, a été le premier artiste à relier le jazz américain à l’Afrique, et plus particulièrement aux rythmes africains. Blue rend hommage à l’homme qu’il considère comme son mentor, son aîné et son professeur. Espérons que ce projet encouragera les auditeurs à rechercher le travail de Blue en tant que leader et à revenir à tous les grands albums de Randy Weston tels que Blue Moses et Tanjah. Comme le dit Blue en conclusion, « Baba Randy vit en moi et en beaucoup d’autres. Le monde est meilleur grâce à sa vie et à son héritage ». Merci, T.K. Blue.  Comme vous, la musique de Weston nous manque cruellement, mais il faut espérer que c’est une indication que les rythmes continueront.

A 23h c’est Cheikh Tidiane Seck et son Group qui apparaît sur la scène… et le public se lève.

« Ici nous allons rendre hommage au digne fils de l’Afrique, Monsieur Randy Weston »

les premiers mots sur la scène.
Cheick Tidiane Seck, un homme de grand cœur. Tout comme Randy Weston à qui il rend ce soir hommage. Il milite aujourd’hui pour l’ouverture d’esprit de ses contemporains et une meilleure connaissance de l’histoire africaine à l’échelle planétaire.

« Je pense que cette vitrine qu’est le festival de jazz de Saint-Louis peut être un passage pour fédérer l’union sacrée des différentes communautés qui composent l’Afrique pour l’avenir de l’Africain de demain“.

Cheick Tidiane Seck est un musicien très attaché aux traditions hérités du passé. En 1995, l’enregistrement de l’album Sarala avec le pianiste américain Hank Jones avait suscité beaucoup d’engouement. Depuis, Cheick Tidiane Seck n’a jamais cessé de rappeler dans sa musique le besoin pour l’Afrique à l’unité. C’est avec “Timbuktu -The Music of Randy Weston” qui paraît comme une joyeuse oraison funèbre, une communion sonique, une messe dansante à Randy Weston. « Pendant tout l’enregistrement de l’album, je repensais au rire de Randy. Ce disque, c’est moi qui me projette vers son langage, vers son œuvre“. Dans les mélanges entre les musiques Gnawa et le jazz très intéressants et fascinants les tapis musicaux au rythmes magrébins du guembri de Majiid Bekkas.

Line-up du concert : Cheikh Tidiane Seck – piano, claviers chant guitare, Jean Jacques Elangué – saxophone, Momo Hafsa – contrebasse, Adama Diarra – percussions, Will Calhoun – batterie, Majid Bekkas en guest – guembri.

Dernier rdv. le 28 mai avec le Quintet de Daniel Migliosi, le Trio de John Shannon et la légendaire Liz Mc Comb.

C’est Daniel Migliosi qui ouvre la soirée. 18 ans, né au Luxembourg, dans une famille de musiciens, trompette à la main. Lunettes noires tel Miles… mais pas que les lunettes.

Oui, le chemin à faire est encore très long, mais les puristes du Jazz ont bien apprécié ce soir ce jeune talent qui avec forte personnalité prend la scène d’une façon si naturelle qu’on dirait que cela fait longtemps qu’il la parcours. En effet ce n’est que depuis trois ans qui se produit avec son quintet par toute l’Europe, Adrian Gallet au saxophone, Benedikt Göb au piano, Jan Blikslager, à la basse, Mathieu Clément, batterie.


Très décontracté, il débute avec avec une pièce de son premier album “Left on scene“ sorti en novembre 2022. Très respectueux de la tradition hard bop, bien rythmé, une énergie qui arrive de ses 18 ans et qu’il a partagé avec le public, conquis par son talent et sa personnalité.

A suivre sur la scène : le trio de John Shannon.
En tant que guitariste du phénomène de jazz-fusion Hiromi, il a fait de nombreuses tournées à travers l’Europe et le Japon. La musique du monde et le hip-hop faisaient également partie du tissu musical de Shannon.


Le pouvoir éclairant de la musique, la capacité des chansons à éveiller l’esprit : tels sont les éléments à la base des convictions artistiques (et pas seulement) de John Shannon, ainsi que les prérequis indispensables pour comprendre les caractères intimes et profondément ressentis de sa musique. Des textures acoustiques cristallines et un chant majoritairement chuchoté marquent des chansons toutes caractérisées par un léger ravissement émotionnel, qui se jette tantôt dans la délicatesse de ses l’entrelacement vocal tantôt dans l’intense spiritualité des chants rituels autour du feu. Un beau moment de sérénité et de rêve pour un public qui a aimé se faire embrasser par la musique du Trio.

Line- up : John Shannon – guitare, Cliff Barnes – claviers, James Johnson – batterie

Et c’est la ‘légende’ Liz Mc Comb qui clos la 31e édition du festival.


Liz McComb a conscience d’être l’une des rares héritières d’un fabuleux patrimoine culturel et musical. Dès ses premiers témoignages personnels, elle s’est spécialisée dans l’interprétation des plus anciens « negro spirituals », ceux de l’époque de l’esclavage, de manière originale. De sa génération, elle est l’une des dernières à connaître et à interpréter ces « chants de liberté » car son histoire familiale en fait pour elle un répertoire évident et naturel. Ses concerts, en Palestine et au Liban, l’ont convaincue de devenir avant tout une « messager de la paix » et d’être surnommée la « pasionaria du gospel ». Grande prêtresse de la « soul », citoyenne d’un ciel noir, nocturne et méditatif, qui se situe bien au-delà de la vénalité d’un certain gospel contemporain, banalisé sinon frelaté, Elizabeth McComb « délasse les âmes », elle distille tenace et infatigable, le bonheur, l’espérance et la sérénité.
D’une voix puissante et à la limite de l’émotion Liz McComb émerveille tout autant « celui qui croit au ciel » que « celui qui n’y croit pas ». Elle distribue un plaisir pur à chacune de ses notes, même quand son chant devient une plainte. A 70 ans, cette fille de pasteurs pentecôtistes se reconnaît toujours à son gospel frénétique, hérité de sa pratique des vieux negro spirituals, mais sans prosélytisme.

« Le gospel est devenu universel, il ne s’adresse plus seulement aux fidèles noirs américains » constate Liz McComb. « Je suis consciente que mon public n’est pas forcément croyant et qu’il n’a pas à l’être ! Je transmets juste un message d’amour, dont tout le monde semble avoir besoin. »

Accompagnée par Shannon à la guitare, James Johnson à la batterie, Cliff Barnes aux claviers, Chyco Siméon à la basse, trépigne pendant deux heures dans un ruissellement de sueur, interprète elle-même de grandes envolées au piano. Un grand silence tombe à la dernière note ……quelques secondes… et un applaudissement irrépressible envahi place Baya Ndar. Merci Elizabeth.

Et un grand merci à toute l’Equipe de Maitre Ibrahima Diop ; Mame Fatou, Awa Abdoukhadre, Ben, Amadou Ndiaye, Bouba Tall… etc, … etc.  A l’année prochaine.  inchallah !

Fotoreportage: https://www.apj.it

Ecrit par Patrizio Gianquintieri

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