LIVE REPORT : La Liberté Complice du Transatlantic 4tet

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Pas toujours évident de trouver du jazz,
sur la Côte d’azur, qui s’émancipe des
carcans de la tradition et des circuits
commerciaux. Cela arrive heureusement
parfois car nous avons quelques musiciens
locaux qui n’hésitent pas à se risquer du côté
des musiques improvisées… C’est le cas par
exemple, de Serge Pesce, notamment avec
son dernier projet, le Transatlantic Quartet.
Avant d’aborder cette belle aventure musicale
et humaine, il est sans doute nécessaire
d’évoquer brièvement ce que peuvent être les
musiques improvisées (pour certains, cette
grosse nébuleuse qui fait peur et dérange !).
Celles-ci ne se laissent pas facilement définir.
Si l’on peut considérer qu’elles s’inscrivent
dans la continuité du jazz et du free jazz,
par cet approfondissement d’une énergie
expressive salvatrice et vitale, elles peuvent
apparaître, dans le même temps, comme une
émanation des recherches de la musique
contemporaine occidentale et puiser dans les
richesses des musiques ethniques. Depuis ces
dernières décennies, elles connaissent un
essor considérable, tant aux États-Unis qu’en
Europe mais restent peu abordées par les
médias. Sans-doute, leurs aspérités, quelque
peu libertaires, leur manière de se dérober
à toute convention, tout enfermement, ne
conviennent-elles pas à nos sociétés trop
souvent aseptisées et oublieuses de certains
éléments fondamentaux de vie – par exemple,
l’authenticité d’une rencontre, d’une émotion…
Le musicien improvisateur emprunte certes
des chemins de traverse mais surtout,
nous convie à renouer avec une émotion
primordiale. Primauté du geste et du souffle,
pulsation ancestrale, vertige de la variation,
résonances fructueuses, déclinaison infinie
de l’inouï, ébranlements, et plus largement,
extension des possibles : bref, tout ce qui peut
tisser, dans le creux de l’instant, la fluidité
d’un monde à réinventer.
C’est de tout cela dont il s’est agi avec le
Transatlantique Quartet, lors de ces deux
concerts qui se sont déroulés en avril à Vence
(Chapelle Ste-Bernadette) et à Saint-Laurent
du Var (Théâtre Georges Brassens). Ce groupe
réunit deux musiciens américains vivant aux
Etats-Unis, Vincent Chancey au cor d’harmonie,
Jeremy Carlstedt à la batterie et deux
musiciens habitant le sud de la France, Serge
Pesce à la guitare accommodée et Barre
Phillips à la contrebasse.
On a connu Serge Pesce il y a maintenant un
peu plus de quinze ans grâce à des concerts
mais aussi à deux disques de l’audacieux label
Bleu Regard : « Beù Beù » enregistré avec les
frères Sanou (Mali) et « Jazz d’Aïa » avec Barre
Phillips et Jean-Luc Danna. On y a vite décelé
cette ouverture à l’altérité fructueuse et ce goût
de la liberté, quoi qu’il arrive. On y a rencontré
aussi cette fameuse guitare « accommodée »
qui dévie entre autre vers des sons de violoncelle
ou de voix humaines, créant des univers sonores
singuliers. Serge Pesce la décrit ainsi : « J’ai
appelé ce système de jeu “Guitare accommodée”
en référence à l’italien “accomodate-vi”. C’est
une forme de politesse que l’on emploie
lorsqu’on reçoit quelqu’un et qui signifie:
“mettez-vous à l’aise”. Il s’agit en quelque
sorte de se mettre à l’aise avec la guitare, de
prendre des libertés pour qu’elle soit à notre
convenance… ».
A l’aise ? Il semble qu’il le soit tout à fait avec
ses trois comparses du Transatlantic Quartet.
D’abord Barre Phillips, avec qui il entretient une
complicité de longue date. Ce contrebassiste
newyorkais (vivant désormais dans le Var) reste
un musicien phare de l’avant-garde newyorkaise
depuis la fin des années 60. Son groupe « The
Trio » avec le saxophoniste John Surman et le
batteur Stu Martin a marqué plusieurs générations
de freejazzmen… Vincent Chancey est
aussi une figure imposante de la scène free
outre atlantique : il a collaboré aux prestigieux
orchestres de Sun Ra, Carla Bley, Lester Bowie,
David Murray, Charlie Haden... Serge a enregistré
en duo avec lui, il y a 9 ans, le beau disque
« Légendes imaginaires ». Jeremy Carlstedt
est le plus jeune de la compagnie mais affiche
déjà une maturité évidente. Multi instrumentiste
(guitare, batterie, voix), il participe activement
à la scène avant-garde à la fois rock et jazz.
La rencontre entre ces quatre-là coule de
source. L’écoute fertile, l’aisance des échanges,
l’intensité des émotions ont engendré, lors de
ces deux concerts, de beaux moments de
grâce, heureusement captés par l’ingénieux
ingénieur du son, Lucien Massucco en vue
d’une sortie discographique…
A Saint-Laurent du Var, la soirée s’est clôturée
avec la joyeuse intrusion de deux improvisateurs
d’aqui, Jean-Marc Baccarini et Emmanuelle
Somer : énergie, complicité, enthousiasme. A
Vence, Barry Wallenstein, poète newyorkais en
résidence à Saorge, est venu à certains
moments, déclamer sur scène ses poèmes
(Vincent et Serge se sont rencontrés grâce à
lui, il y a 10 ans !). Il nous semble tout à fait
naturel que la poésie flirte avec ce type de
musique, elles procèdent sans-doute toutes
deux du même élan, de la même essence : de
cette faculté à revenir à l’essentiel, à une
profondeur du coeur et de l’esprit saisie dans
la fulgurance d’une rencontre. n
L’émission Jazzact (sur Agora FM) du 22 avril
était consacrée au Transatlantic Quartet.
Réécoutez l’émission ici :http://agoracotedazur.fr/jazz-act-emission-du-mercredi-22-avril-2015/

Ecrit par Geraldine Martin

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