Live report – Magma

CONCERT DU 13 FÉVRIER 2015 AU THÉÂTRE LINO VENTURA

Pour le curieux venu écouter Magma dans un TLV bondé – presque toute la clique est là ce soir, avec le ban accouru de la région et l’arrière-ban transalpin, plusieurs conclusions s’imposent assez vite :
Primo, on est heureux d’avoir bravé l’humide froidure pour en être – on croise des camarades, on baguenaude, le stand de pâtisseries orientales reste imbattable.
Secondo : coup d’oeil panoramique sur les gens dans la salle : Magma, c’est, manifestement, toujours une musique de darons – des darons manifestement sans leurs filles, et ça c’est regrettable – ah si, j’en aperçois quelques unes tout de même… D’accord.
Tertio, vu la complexité du répertoire de ce groupe bientôt demi-centenaire, poussant le zèle jusqu’à composer dans un langage obscur – le Kobaïen – eh bien j’ai intérêt, en vue de mon article, à dénicher dans cette foule de bonnes gens un particulier capable de m’éclairer fissa sur ce qui aura été joué… Ce sera chose faite avec ce photographe enragé de Magma, qui les suit depuis trente ans et me permettra de tirer au clair au moins la set-list – qu’il soit ici remercié. Même si recopier sans faute ces titres représente déjà, en soi, un labeur de Romain…

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Quarto : que dire encore sur Magma, après quarante ans de glose? Renonçant à entreprendre ici l’escalade de cette montagne de roches ignées et éruptives, je me bornerai à quelques impressions de concert. Or, donc, après une digne arrivée sur scène de l’octuor (ou octet), la première pièce démarre dans un groove hendrixien qui laisse place à un curieux amalgame sonore évoquant le songe d’un marché merveilleux au pied d’un temple entre Essaouira et… bords de Loire ; ou brossant, quelques mesures plus tard, tout un monde entre Game of Thrones et comédie musicale. Le vibraphone s’y révèle particulièrement retors, Benoît Alziary semblant susciter, de ses mouvements saccadés et étranges, des serpents invisibles qui se tordent en pittoresques convulsions auxquelles la guitare, martiale, répond en un solo d’accords bruts. Alors, les tambourins mènent une danse latérale, puis l’on échoue comme sur une plage de l’Odyssée, après la rencontre des sirènes. Mer éternelle, calme marmoréen, mais un Vander-Héphaïtos ravive la machinerie, et l’on reviendra, conduits par les voix, emmenés par la main, tout au bord du quartier sacré qui nous accueillit initialement… Magma, c’est donc avant tout terriblement prenant – difficile de s’ennuyer tant cette musique enlace patiemment et puissamment narration et abstraction, sensualité et recherche formelle, sans faire poindre chez l’auditeur la moindre parcelle de migraine. Mais le récital continue. Encore une pièce imposante, avec ce second mouvement consacré à « un homme qui croyait dompter les éléments », précise Hervé Aknin. Démonstration de force magmatique, avec ces motifs repris à l’unisson par les voix, la guitare et la basse, transpositions fréquentes d’un ou plusieurs tons, passages instrumentaux massifs et quasi lo-fi, brutaux comme l’attaque d’un orque dans un océan démonté sous la tempête rythmique déchaînée par Vander, qui sue tant et plus. Puis les voix s’accordent de nouveau, tandis que les notes de guitare et de vibraphone saturent dans l’éclat rouge des projecteurs dont le crépuscule est balayé par un vent charriant des effluves de groove, de jazz, de rock pailleté par les derniers rayons solaires…

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© Z@ius / Next Movement

On est alors prêts pour un autre voyage, avec le plus récent Slag Tanz ; un début typiquement 70s, qui ferait presque penser à la BO d’un impossible polar de Jacques Demy, puis c’est le départ vers d’autres rivages, aux décors de péplum cette fois, sur lesquels règnent les choeurs d’immémoriales magiciennes. Piano et vibraphone déploient des toiles immaculées, la guitare déroule son riff sur deux tons, en crescendo et en decrescendo, et l’on est toujours autant captivés, entre rictus incrédule et sourire de satisfaction.
Ensuite, on a droit à la présentation des musiciens, acclamés tour à tour, puis les « forces incommensurables de l’Univers » (dixit Aknin) font ressentir encore un peu de leurs puissants effets sur Zombie, « une petite balade pour terminer ». Moins marquant, plus systématique, ce titre révèle davantage les limites du groupe – si je puis me permettre, avant de m’expliquer : celles (de limites) qui incombent au poids considérable du batteur dans les compositions, les autres instrumentistes ayant, de fait, pour tâche de modeler leurs partitions autour d’une carcasse qui, parfois austère et rigide, acquiert au final une sécheresse de mortier à prise rapide. Même s’il possède, je l’admets, l’enviable longévité des ciments de l’époque romaine, de ceux qui assurèrent la cohésion du Pont du Gard, par exemple… Je mets Gard…
Le groupe est reparti en coulisses. Le public, peu pressé d’abandonner la salle du TLV, et sa rêverie sans doute, reste encore un peu, à contempler la scène désertée, à analyser le concert, humant les vapeurs telluriques exhalées par le monstre. C’est donc dans un flot de conversations enthousiastes et bon-enfant que nous serons malgré nous doucement aspirés vers le hall puis vers le bitume de l’Ariane, transis déjà, mais emportant, enclos en nous précieusement, de bien beaux fragments de l’épopée Magma.

Line up : Christian Vander, batterie / Stella Vander, Isabelle Feuillebois & Hervé Aknin : chant / Bruno Ruder, piano / Benoît Alziary, vibraphone / James Mac Gaw, guitare / Philippe Bussonnet, basse.

Set-list : Rïah Sahïlthaak / Köhntarkösz (second mouvement) / Slag Tanz / Présentation des musiciens / Zombies.

Ecrit par Isabelle Pourcher
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