Paroles de Jazz #8 : De l’intranquilité du soliste

« Le Jazz, c’est l’impro ! » entend-on souvent quand il s’agit de définir cette branche issue de la musique profane des Noirs des États-Unis. Mais qu’est-ce qu’improviser pour un interprète ?

C’est prendre la parole bien sûr, cette parole qui suit l’explosion collective du thème musical principal ; elle est alors personnelle, singulière, chargée du ressenti intime de celui qui la libère, parfois d’une façon joliment décalé (le solo lunaire de Miles Davis dans Billie’s Bounce), parfois rageuse (Archie Shepp dans Mama Rose), d’autre fois délicieusement nostalgique (Bobby McFerrin dans ‘Round Midnight). Elle est le reflet de l’intériorité de l’artiste qui se forge sa propre voix, qui s’individualise dans le feu du collectif.

Qu’est-ce au fond qu’improviser ? Quand on s’attache à décortiquer le mot, on s’aperçoit qu’il est formé d’un double préfixe (im-) et (pro-) et du latin videre (voir). « Providere » c’est prévoir. Si l’on ajoute le privatif (im-) on se retrouve dans le cas contraire. L’improvisateur est celui qui est dans l’impossibilité de voir à l’avance. Les yeux bandés, les oreilles et le coeur grands ouverts. Improviser serait alors cette acceptation pleine et entière d’agir sans préparation, de chanter ou composer sur l’instant, de se tenir dressé sur le fil du moment tel un l’équilibriste du son prêt à répondre courageusement à l’appel d’une fonction à laquelle il n’est pas préparé. Car on n’est jamais préparé. Au mieux on est présent, disponible, debout sur le ring de la scène, disposé à en prendre plein la gueule. Il n’est pas étonnant que la boxe ait hanté le trompettiste Miles Davis qui la pratiquait assidûment. L’improvisation est un sport de combat.

Cela fait trois ans qu’avec le trio Inwardness* j’affronte régulièrement ce qu’il peut arriver de pire à un artiste lambda : monter sur scène sans savoir ce qu’il va jouer. Pas de liste de morceau, pas de plan Pré-établi mais une envie pressente : se consumer tout entier dans le brasier du live pour que l’alchimie opère. Alors des compositions spontanées surgissent, le public se fait complice, l’instant se musifie. Parfois on se ramasse, on peut être médiocre ou au contraire comme touché par la grâce. « Improviser, c’est effectivement s’improviser, c’est donner conscience au soi doutant » comme dit Bernard Lubat. « Quand on improvise, on est sûr que l’on est pas sûr, on tente le coup en faisant face à l’inconnu […], on se conjugue à l’imparfait du subjectif. » C’est peut-être bien pour toutes ces raisons qu’on applaudit l’artiste une fois son solo achevé…

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Ecrit par David Amar

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