Paroles de Jazz #7

Moments Lumineux, vivaces visions. A l’époque où les vinyles psychédéliques tournaient sur les platines, où la Grande Parade du jazz débutait son histoire aux arènes de Cimiez, j’étais à l’âge où l’on tape plutôt dans un ballon, davantage tourné vers le rock que le jazz. Charles Mingus qui se produisit à Nice dans ces année-là m’entraina rapidement vers d’autres couleurs musicales, m’offrant une porte d’entrée dérobée au monde du jazz.

Dès lors, il n’y avait plus qu’à cheminer. Douglas, un musicien californien, son piano et son Revox, me firent alors découvrir Stevie Wonder et son LP Innervisions de 1973, un sommet dans la carrière du chanteur.

Puis ce fut une seconde révélation : Rahsaan Roland Kirk via la reprise de son « Serenade to a cuckoo » par le groupe Jethro Tull. Curieuse rencontre en définitive, entre l’errant que j’étais et ces deux derniers géants aveugles qui allaient tant influer sur mon futur. Au-delà de leur cécité, tous deux étaient en recherche de patronymes, tous deux à l’avant-garde, tous deux en première ligne de la lutte pour la cause des noirs, tous deux multi-instrumentistes, tous deux passionnés par la radio, tous deux…

Si pour Kirk « la musique c’est le rêve », et que Stevie Wonder a toujours déclaré que « Songs in the key of life » lui était venu durant un rêve, concrètement, comment réaliser le mien et sortir enfin du flou où je me trouvais ? Je n’allais donc pas échapper à cette longue série de « petites galères » : trouver un instrument d’occase, travailler, répéter dans les caves et garages, travailler encore, jouer dans des bals de quartier, travailler toujours, m’épuiser dans des orchestres de variétés, et travailler, travailler pour enfin approcher le jazz de plus près et notamment les styles de Kirk et Wonder, leur puissance, leur sensibilité.

Sur proposition d’un organisateur éclairé, je constituais Bright moments (Moments lumineux, un thème de Kirk). Ce groupe est un hommage à Rahsaan Roland Kirk, ce génial multi-saxophoniste- instrumentiste, flûtiste, et compositeur, génie déjanté peu connu du grand public, difficilement étiquetable qui, de ce fait, échappa aux grands médias et n’a pas bénéficié d’une reconnaissance méritée. « Des moments lumineux, c’est comme voir quelque chose que vous n’avez jamais vu de votre vie, et vous n’avez même pas besoin de le voir, car vous savez exactement à quoi ça ressemble » (Kirk).

Et Stevie, oublié ? Que nenni. Je regroupais donc un autre band pour les chansons soul / funk de cet autre monstre. Ce sera Stevieland, dans le style quartet « ‘60 » avec orgue Hammond, guitare, drums, sax ténor / flûte, et une façon de revisiter les chansons à la manière de thèmes jazzy. Stevie – comme Kirk d’ailleurs – est quelqu’un d’engagé, et ça me plait. En 80, militant dans la lignée du combat pour les droits civiques, il écrit son fameux Happy birthday pour l’instauration d’un jour officiellement férié aux États-Unis en l’honneur de Martin Luther King, journée effectivement décrétée deux ans plus tard (et réellement commémorée six années après).

Auparavant, au cœur des sixties, Kirk déclarait : « il devrait y avoir une femme noire présidente, vraiment, et si ça n’est pas possible, une femme blanche, et si ça n’est toujours pas possible, pas de président du tout ». Moments lumineux…

Mais alors, avoir monté deux groupes, le premier interprétant les titres d’un chanteur mondialement connu et reconnu et le second faisant revivre l’esprit novateur et dérangeant d’un génie musical beaucoup moins médiatique, ne serait-ce pas un tantinet schizophrénique ?

Allez savoir et quelle importance ? Quoi qu’il en soit dans ces deux expériences distinctes et proches à la fois, j’ai le plaisir de travailler,et de m’amuser surtout, avec une coterie de compagnons de route qui comprend quelques-unes des plus fines gâchettes du quartier : Fred D’Oelsnitz, Bela LorantOlivier Giraudo, Michel Romero, Laurent Sarrien, les deux Jo (Kaiat et Gritella,) et last but not least le légendaire Jean Luc Danna. Donc « open your eyes and ears » et à bientôt sur scène avec Bright Moments et Stevieland.

Ecrit par Eric Polchi

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