#Sur La Piste d’un 33 Tours « Marc Moulin / Sam’ Suffy »

Le premier opus du trublion belge Marc Moulin vient tout juste de fêter l’année passée ses 40 ans. Album rare, par sa singulière vision d’un futur en devenir, qui inaugure une œuvre affranchie, riche et protéiforme. 

« Liberté, j’écris ton nom » aura été le leitmotiv de ce touche-à-tout de génie, à la fois littérateur, pianiste et compositeur, fondateur des groupes Placebo et Telex, et figure de la RTBF pour n’évoquer que ses principaux faits d’armes. Du jazz à l’europop, Marc Moulin fut avant tout un esthète en avance sur son temps, à la créativité sans faille. Esprit véloce et insolent, issu d’une terre cosmopolite « neutre culturellement », comme il qualifiait avec affection sa Belgique natale, il se représentait de fait comme un producteur ontologiquement ouvert au monde. « Il n’y a pas de voitures belges, mais elles sont toutes pratiquement construites en Belgique », soulignait malicieusement celui qui animera de son humour aiguisé les ondes hertziennes durant les années 80.

Enregistré à Bruxelles fin 1974, Sam’ Suffy est une œuvre envoûtante et visionnaire. Aux claviers, Marc Moulin est entouré de Philip Catherine à la guitare, Jasper Van’ t Hof à l’orgue électrique, Richard Rousselet à la trompette et au bugle, Bruno Castellucci et Garcia Morales à la batterie. Un seul morceau est une adaptation : Misterioso, reprise de Thelonious Monk, dont Marc admire les scansions et les silences.

Au carrefour du funk, de la soul, du jazz et de l’électronique balbutiante, les compositions de Marc Moulin explorent des itinéraires encore vierges. À partir de sons enregistrés préfigurant la pratique du sampling, comme le mythique bruit caverneux d’écoulement dans Tohu Bohu, le compositeur s’amuse, use de cris d’animaux, ruse des premiers séquenceurs, égrène les innovations esthétiques et techniques. Le calembour n’est jamais très loin, comme l’attestent les titres des différents morceaux, en hommage à un éclectisme assumé : Le Saule en référence à la soul, La Blouse, La Bougie et Le beau Galop, comme transfuges du blues, du boogie et du boogaloo.

S’il est attentif au groove, dont il maîtrise avec brio les motifs rythmiques, Marc Moulin enfonce également des portes : avec From, les variations et nappes synthétiques à la Perrey et Kingsley inaugurent un jazz aux accents de musique électro-ambiante. Quelques années plus tard, avec Telex, ses lignes de basse produites sur mini-Moog préfigurent la house qui émerge à la fin des années 80.

De la musique électronique au hip-hop : beaucoup se réclament du travail du jazzman, largement samplé, à l’image de Sam’ Suffy, un des albums les plus échantillonnés au monde. Un paradoxe au regard de la renommée confidentielle de cette légende du jazz, bien moins reconnu du grand public que de ses pairs. Ce qui n’était pas par ailleurs pour lui déplaire, humblement, cela lui suffisait.

1/ Le Saule

2/ Misteriose

3/ From

4/ La Blouse

5/ La Bougie

6/ Le Beau Galop

7/ Tohubohu (part. I)

8/ Tohubohu (part. II)

9/ Tohubohu (part. III)

10/ Tohubohu (part. IV)

11/ Tohubohu (part. V)

www.marcmoulin.com

Ecrit par Benjamin Grinda
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