#Interview : Titi Robin Géant humble… qui évite d’être un jazzman !

Une retrouvaille au sommet avec Titi Robin, géant humble… qui évite d’être un jazzman !

37 ans de route et 23 albums n’ont rien changé dans l’attitude (et quête) de ce musicien autodidacte (et musicologue, par défaut) ! Fidèle à ses convictions et malgré sa reconnaissance planétaire, Titi Robin, le porte-parole honoraire des peuples du voyage, préserve sa notoriété pour sa cause seulement… et il n’oublie pas où sont les frontières et les rives !  C’est dans un charmant village angevin, à Rablay-sur-Layon, que s’est déroulée cette conversation : sous le gigantesque tilleul, dans le jardin de Titi, accompagnés, nous étions, du chant des oiseaux !

Thierry, tu es instrumentiste et essentiellement improvisateur. Donc pourquoi refuses-tu d’entrer dans la catégorie du jazz ?!

Le jazz n’est pas la seule musique improvisée ! La majorité des musiques traditionnelles ou savantes, asiatiques et même européennes accorde un grand rôle à l’improvisation. J’ai écouté beaucoup de jazz, quand j’étais jeune. Et en écoutant aussi les musiques que j’aimais, la plupart méditerranéennes, j’ai vu qu’il y avait d’autres écoles d’improvisation. Je suis allé dans cette direction-là qui s’accordait mieux avec mon style. J’ai inventé un propre style d’improvisation. Dans la manière de construire et d’orchestrer, j’ai emprunté au jazz : par exemple, le principe de jouer un thème, puis d’improviser, ensuite de revenir au thème… Et j’ai aussi adapté la formation du jazz, piano, batterie, basse, que j’ai remplacée par l’accordéon, la percussion et le guembri. Pour moi, le jazz est une autre culture, un autre langage. Jouer avec un musicien gitan, arabe, indien, est plus simple pour moi, plutôt qu’avec un musicien de jazz. Parce que tout simplement c’est un langage modal et pas harmonique. Et même si Coltrane disait qu’il faisait du jazz modal, ça reste une autre philosophie.

Mais dans le jazz, n’y a pas que le be-bop, il y a aussi du jazz modal !

Sur le fond, je me suis beaucoup nourri des artistes de jazz, et ils m’ont énormément influencé. J’ai même rendu un hommage à Charlie Haden en jouant le oud avec le pouce, inspiré de la façon dont il joue la contrebasse.

C’est très concret. Dans la musique modale, si on prend une gamme, il y a une hiérarchie entre les notes. Il y a des règles intouchables dans la majorité des musiques que je joue, et on ne va pas s’engager à la quinte, quarte, aux différents degrés de la gamme de la même manière. C’est ce que je dis toujours quand je partage mon enseignement de la musique modale. Quand John Coltrane ou d’autres musiciens, improvisent modalement, ils enchaînent une série de notes qui, pour eux, ont toutes la même valeur. C’est ce survol dans l’ensemble et non pas chaque rapport note à note qui importe, c’est dans cet espace qu’ils mettent leur expression.

Alors que par exemple, quand moi, j’improvise, devant un public, en Inde ou devant des connaisseurs de musique modale – même si je ne joue pas de la musique indienne du tout – dès que je fais une modulation sur la tierce, il y a dix personnes qui vont commenter parce qu’ils ont ressenti dans leurs corps cette modulation. Parce que dans ces musiques modales, on est sensible à chaque note. Dans le jazz, j’ai l’impression que ça ne peut pas arriver car ce n’est pas là où on met l’accent et l’intention. C’est une différence importante. Pour moi, la philosophie de la musique modale s’attache vraiment à chaque degré de l’échelle. 

Si on prend l’exemple de la poésie et du roman : on change un mot dans la poésie et on déséquilibre complètement le poème, parce que la densité est telle que chaque mot a sa place. Dans un roman, on prend davantage de recul. De la même manière dans une improvisation en jazz, on est dans les flux, les mouvements des phrases. L’improvisation modale et l’improvisation harmonique, je situe ça comme ça.

Et les rapports avec les gammes pentatoniques ?

Justement, en généralisant de manière caricaturale, le musicien attaché à la musique modale peut s’épanouir dans une improvisation pentatonique sans problème… mais ça peut-être plus difficile pour un musicien de jazz ! J’ai parfois joué avec des musiciens de jazz en disant « on ne joue que le pentatonique », c’est-à-dire seulement les cinq notes et pas d’autres… Et là, ils étouffaient, se sentaient emprisonnés car trop limités par ces contraintes. 

Que penses-tu en règle générale du métissage, par exemple, du jazz et du flamenco ?

Globalement, franchement, la plupart du temps, je n’aime pas. Non pas parce que ce n’est pas bien mais, par rapport à ce que moi, je cherche. Un exemple de jazz et musique indienne, Shakti avec John McLaughin : beaucoup de mes amis adorent. Le public est séduit et impressionné par ce sommet de virtuosité mais moi, je ne trouve pas dans cette musique, le parfum, la force ni de la musique indienne, ni de la musique de jazz. J’ai besoin de la musique pour être nourri, pas pour être impressionné. Souvent, dans ces rencontres-là, formellement, c’est magnifique. Beaucoup de musiciens ont pu faire connaître leurs musiques et les musiques d’ailleurs à un public occidental comme l’a fait John McLaughin avec Zakir Hussain et son tabla. Le public se rend compte qu’il y a d’autres écoles aussi époustouflantes et c’est très positif. Mais moi, tout simplement, ce que je cherche dans la musique, je ne le trouve pas dans ces musiques-là… Et pourtant je fais de la musique métissée (ah, ah, ah) !

Donc tu évites le côté virtuose de ce genre de musique car dans tout ton travail, c’est plus épuré ?

J’aime quand on va au noyau. Comme dans la poésie, trouver une métaphore la plus simple possible pour évoquer l’idée la plus profonde possible sur l’existence, c’est mon idéal. « La modestie des moyens et l’ambition maximale dans le sens », c’est ce que je cherche.

Tu joues le oud et le bouzouk, mais avant tout, tu es guitariste. Qui sont tes guitaristes de jazz favoris ?

Mon guitariste de jazz préféré est français et il est manouche : c’est Django Reinhardt. Il correspond à ma culture mais il joue quand même du jazz, la musique harmonique. Je n’ai pas entendu, en jazz, de plus grand maître que lui, même s’il y a plein de guitaristes. J’ai l’impression que le problème de sa succession, c’est que c’est devenu une musique trop figée et codée. Lui, il n’a pas arrêté de bouger avec une grande liberté. Même chose à la suite de Bird et Trane, etc. C’est tellement fort qu’on ne peut pas faire mieux. Django me donne tout ce dont j’ai besoin dans ce domaine. Django forever !

Comme Django, tu es un musicien autodidacte… qui fait une musique personnelle mais enracinée. Une position délicate, non !?

C’est bien de garder sa personnalité. Je suis un autodidacte et je vais à l’instinct. Effectivement je n’avais aucun professeur. Et j’ai toujours envié beaucoup de gens que je connais qui avaient des maîtres. Mais en même temps je suis conscient aussi de l’avantage d’avoir été le seul juge pour moi-même. Tu sais, moi, ma musique est métissée. Mais elle est vraiment le résultat d’une recherche acharnée, celle de trouver une harmonie. Quand je compose je cherche cette harmonie entre toutes les cultures que j’ai en héritage. Ce n’est pas évident car toujours sur le fil. Il faut beaucoup de respect… Mais c’est mon destin à moi. Je joue avec des gens dont le père, le grand-père, l’arrière grand-père ont toujours joué la même musique. Eux, ils l’assument magnifiquement.

Au fond, peu importe, si tu t’exprimes dans le même style que toute ta famille, il faut arriver à assumer cette tradition et la dépasser pour trouver ta propre voie et la culture de ton milieu qui te pousse, c’est ce qui te donne aussi une force énorme. Mais si tu échoues, ça peut être aussi une prison. Et si tu es libre, tu peux également te noyer dans cette liberté. C’est à la fois une chance – mais il faut être à la hauteur – et un piège. Car, en plus, si tu ne vois pas de mur, tu te trompes, car il y en a. La première chose pour trouver ta liberté, c’est de prendre conscience de la prison dans laquelle tu es. Parce qu’une fois que tu as trouvé où sont les murs, ces murs invisibles inhérents à tout langage, toute vision du monde, tu peux commencer à ouvrir une porte, une fenêtre. Tant que tu penses que tu es libre, tu es prisonnier d’une illusion, tu ne vas pas arrêter de te cogner dans ces murs invisibles, tu n’avances pas.

Mais tu avances, et tu apprends !

Oui mais j’ai des bosses partout !

C’est beau, ça te va bien !!!

https://www.titirobin.net

Ecrit par Sir Ali

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