#Jazz & #Histoire : Boris, le jazz et le Polar

En 2020, de mauvais augure, nous devions fêter les 100 ans de la naissance de Boris Vian. De nombreuses manifestations étaient prévues pour honorer la mémoire de cet immense écrivain, musicien. Hélas, toutes ou presque ont été annulées ou remises. De nombreux exégètes vianophiles, jazzophiles, ont déjà écrit sur le sujet, mais Le Jazzophone se devait d’apporter une modeste contribution à cet artiste touche-à-tout.

La rubrique Jazz & Polar était tout indiquée pour explorer quelques pistes. Boris Vian, journaliste, a écrit sur le jazz pour notre confrère, le vénérable -mais tout jeune à l’époque- Jazz Hot, Jazz News, sans compter les diverses piges (Boris était un insatiable de la plume), Combat, Le Canard Enchainé, Temps Modernes. On picorera avec délice dans les 600 pages de « Écrits sur le Jazz ». Tout particulièrement les chroniques hilarantes signées Docteur Gédéon Molle pour Jazz News ou celles plus sérieuses, mais pas dénuées d’humour écrites pour Radio 49. Mais, l’homme de lettres posait le stylo pour emboucher sa trompette dès qu’il le pouvait. Membre N°248 du Hot Club de France depuis 1937, il le restera jusqu’à la fin de sa vie.

Il acquiert sa première trompette en 1934 et ne tarde pas à jouer en groupe avec ses frères Alain et Lélio. C’est le début d’une longue carrière… Boris disait de lui-même qu’en jazz, il était un amateur marron, en référence aux amateurs marrons dans le sport (à l’époque toujours) qui touchaient un cachet pour leurs prestations. Pour l’anecdote, on note dans l’excellent « Anatomie du Bison » que la première apparition de Boris sur une scène fut dans le programme d’un concert de Yehudi Menuhin en 1931, salle Pleyel. Yvonne, la mère de Boris était amie de celle de Yehudi. Boris Vian assiste à tous les concerts parisiens des grands Américains de passage à Paris, Coleman Hawkins, Duke Ellington, Count Basie, …À l’été 42, il obtient son diplôme d’ingénieur et intègre la formation de Claude Abadie, le voilà aussi jazzmen. Il n’arrêtera jamais. Le vieux complice, Henri Salvador, disait de lui : «  Il était un amoureux du jazz, ne vivait que pour le jazz, n’entendait, ne s’exprimait qu’en jazz« .

Attardons-nous maintenant sur le polar. Marc Lapprand, qui a dirigé l’édition des œuvres de Vian dans La Pléiade nous permet de faire le lien, il écrit dans un article de la Revue 813, « On sait qu’il s’était mis à lire des romans américains dès le début des années 1940. Il est passé au roman policier à la faveur du jazz et de la présence accrue des Américains sur le sol français pendant la guerre. » En 1946 et 1952, période faste, il publie quatre « fausses » traductions d’un certain Vernon Sullivan (il en est bel et bien l’auteur, dissimulé sous le pseudo) et cinq traductions de romans américains d’auteurs bien réels eux, sans oublier « vrais » romans parmi lesquels les chefs-d’œuvre que sont L’écume des jours, L’Automne à Pékin. On raconte que c’est par jeu qu’il propose à l’éditeur Jean d’Halluin, frère du contrebassiste d’Abadie -toujours le jazz et le polar- mais surtout fondateur des éditons du Scorpion d’écrire un roman policier violent et érotique. Ce qu’il fera en quinze jours de l’été 46. Ce sera J’irais cracher sur vos tombes signé Sullivan. Immense succès qui l’incitera à poursuivre avec trois autres Sullivan. Le suivant, Les morts ont tous la même peau, commence par « Il n’y avait pas beaucoup de clients, ce soir, et l’orchestre jouait moi, comme toujours dans ce cas-là« . Doit ‘-on y voir le souvenir de ses propres concerts dans les caves de Saint-Germain-des-Prés? 

On évoquait ses traductions, adaptations plutôt, disent certains. Anecdote : dans une récente réédition de l’œuvre de Chandler, dans de nouvelles traductions en version intégrale, Gallimard n’a pas osé réviser les mots de Vian. On ne touche pas au Maître ! Et pourtant, ils auraient peut-être pu. Toujours sous la plume de Marc Lapprand : « Vian a tendance à forcer un peu ses (vraies) traductions. Comme les personnages sont stéréotypés, il s’en donne à cœur joie sur le plan lexical« .  Et même quand il n’est pas complètement polar, la musique est partout dans l’œuvre de Vian, les personnages de Trouble dans les Andains dansent le Jitterbug et Colin teste le fameux Pianocktail de L’Écume des jours avec un thème de Duke Ellington:  « J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir, de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant. »

 Si le doute était encore permis, Boris produit l’album B.0.F d’Ascenseur pour l’échafaud en 57. Film de Louis Malle, tiré du roman éponyme de Noël Calef (Fayard) avec une musique de Miles Davis. Mais la vie a parfois des ironies terribles, c’est en visionnant l’adaptation (qu’il n’aimait pas) au cinéma de J’irais cracher sur vos tombes, qu’il quittera ce monde bercé par le swing de la musique de son ami Alain Goraguer.

Bibliographie succincte :

« L’anatomie du Bison » – Editions des Cendres – 2018

« Écris sur le Jazz » – Cohérie Boris Vian 1994 – Le Livre de Poche 2006

« Boris Vian Jazz à Saint-Germain » – Frank Ténot – Editions du Layeur -1999

« L’étrange cas du Dr Vian & Mr. Sullivan » – Revue 813 N°137 – 2020 

Et bien sûr les romans de Boris Vian et Vernon Sullivan et aussi maintenant en BD

Pour les illustrations : 

Le laissez-passer Jazz Hot et Boris & le trombone 

Pas de ©, mais il faudrait indiquer (Fond Gonzalo/Roulmann)

Ecrit par Jacques Lerognon

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