#Jazz & #Histoire : Le Jazz, La Paix en Guerre

Avril 1917 : le jazz débarque en Europe avec James Reese Europe. Avant la Première Guerre mondiale, la France connaissait déjà le ragtime. Lors de l’Exposition universelle, l’orchestre de la Marine américaine, le US Marine Band, dirigé par John Philip Sousa, avait donné une série de concerts.

Les soldats afro-américains constituent plus de 10% des quelques 4 millions de volontaires qui composent ces unités. Parmi ces volontaires, on trouve le musicien James Reese Europe, alors star de l’intelligentsia noire de New York et propriétaire de deux clubs de jazz très courus. Le 1er janvier 1918, son orchestre joue une Marseillaise au rythme effréné. Une Marseillaise dans laquelle les soldats français auront du mal à reconnaître leur propre hymne national. De janvier à juillet 1918, 11 régiments combattants et 14 régiments de pionniers (non combattants) sont arrivés dans les ports français (Dunkerque, Le Havre, Brest, Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Marseille…). Ces 25 régiments avaient presque tous un orchestre, et ceux qui n’en avaient pas en ont constitué un durant leur séjour en France. Au fil des mois, la taille de ces orchestres va osciller de 35 à presque une centaine de musiciens. Un millier de musiciens noirs ont joué en France entre 1918 et 1919 dans ces orchestres militaires, ceux-ci jouaient, en plus de la musique militaire, des compositions de ragtime, quelques morceaux que l’Original Dixieland Jazz Band avait enregistrés en février 1917 à New York et de la musique du Sud des États-Unis (spirituals et plantation mélodies).

En août 1918, ceux qui ont entendu ces orchestres militaires aux Tuileries, et notamment le chef de la Garde républicaine lors du concert du 369e  (les Harlem Hellfighters surnom donné par les soldats allemands impressionnés par leur courage), ont été particulièrement enthousiasmés par le traitement rythmique, avec l’abondance de « syncopations »,  appliquée à tous les morceaux.

Le « jass » déconcerte et enthousiasme, tout à la fois. Assistant, en 1919, à un concert au Casino de Paris, l’artiste-écrivain Jean Cocteau décrit un « ouragan de rythmes et de tambours ». De nos jours le mot jazz est pris comme terme générique, comme substitut de musique américaine syncopée. Mais le terme est impropre à désigner la musique jouée à cette époque par ces orchestres, qualifions-la plutôt de proto-jazz (terme emprunté au professeur Larry Gushee) ou de ragtime instrumental, comme Jim Europe et Noble Sissle la qualifiaient eux-mêmes. De même qu’il est impropre à qualifier la musique contemporaine jouée par les musiciens noirs notamment, dont certains réfutent le terme même de jazz. La renommée du 369e régiment tient dans les conditions de son retour à New York. Le défilé de la Victoire du 17 février 1919 sur la Ve Avenue devant un énorme public mixte, puis dans Harlem, devant une population noire qui rompt les cordons de police pour les acclamer, a eu un retentissement majeur, y compris en Europe, et leur a permis de passer à la postérité.

L’influence de cette musique en Europe.
À Paris, on raffole des jazz-bands. Ils jouent dans les cabarets de ce qu’on surnomme alors le « Montmartre noir ». La Revue Nègre avec Joséphine Baker fait fureur au Théâtre des Champs-Élysées en 1925. Les premiers disques de Duke Ellington arrivent. Le jazz gagne aussi le reste de l’Europe, que les orchestres militaires américains préfèrent découvrir plutôt que de rentrer au pays. Ils vont dans les pays de l’Est où ils puisent dans le klezmer, en Scandinavie, en Russie, où se produit aussi Sydney Bechet en 1926. « Chez Trenet, le swing est aussi celui des idées et des mots. Son écriture est empreinte de la même liberté que les chorus instrumentaux dans le jazz », décrit Bertrand Dicale. Au diapason du « fou chantant », d’autres futurs grands mettront du jazz dans leurs chansons : Henri Salvador, Boris Vian, Yves Montand, Charles Aznavour, Claude Nougaro, Gilbert Bécaud, Serge Gainsbourg, Michel Jonasz, Sanseverino ou actuellement Thomas Dutronc.

De retour à New York, James Reese Europe libéré du service actif le 25 février 1919, continue à enregistrer pour Pathé avec ses fidèles amis Noble Sissle et Eubie Blake mais est tué d’un coup de couteau dans le cou, le 9 mai 1919 à Boston, par un de ses batteurs, Herbert Wright, qu’il venait de réprimander. Au moment de sa mort, il était le chef d’orchestre afro-américain le plus connu aux États-Unis.

BD « Jazz Lieutenant » Malo Durand / Erwan Le Bot / Jiwa (couleurs) Locus Solus

Ecrit par Jacky Ananou
  • Les concerts Jazz et +

  • Le Jazzophone