1961, dans le salon de Pannonica de Koenigswarter (ses amis l’appellent Nica) à Weehawken, New Jersey, alors qu’il vient de commettre son troisième meurtre, Clyde Morton dit Viper, se remémore son arrivée à Harlem, 25 ans plus tôt.
Non loin, entouré de chats, Thelonious Monk pianote distraitement sur le Steinway. Clyde a quitté son petit patelin d’Alabama pour New York dans l’espoir de faire carrière comme trompettiste. Il est vite échaudé (il n’a pas le talent), il sera donc barbier, homme de main puis dealer sous la coupe de Mr O., Abraham Orlinsky. « Il se trouve que je perçois une affinité entre les noirs et les juifs. Nous avons été réduits en esclavage les uns et les autres, après tout. Go Down Moses. Let my people go.« , lui dit-il. Comme Viper ne peut pas être musicien, il va aider ceux-ci en leur fournissant, l’herbe qui leur donne l’inspiration. Mais il se refusera toujours à dealer de la poudre. « Charlie Parker est une loque. Fats Navarro vient de retourner à l’hôpital. Slim Jackson est à l’article de la mort. La poudre tue le jazz en tuant les jazzmen ». Sa position lui vaudra beaucoup d’inimitiés mais comme le disait Machiavel, « il faut choisir entre être aimé et être respecté ». La vie pourrait s’écouler tranquillement pour Morton mais il croise la route de Yolanda. « Clyde n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi rayonnant. Le teint couleur miel, les yeux émeraudes. Elle semblait illuminée de l’intérieur. Même en uniforme de femme de chambre, il émanait d’elle quelque chose de royal ». Elle sera pour Viper, la femme fatale. Celle par qui, comme dans tout bon roman noir, le malheur arrive. Par petites touches, de flashback en flashback, Jake Lamar va nous narrer la vie de Clyde « Viper » Morton sur près de trente années. Son ascension, son apogée et la chute que l’on pressent irrémédiable. Mais au travers de la vie de Viper, c’est toute une partie de l’Amérique de ces années-là qu’il nous raconte. De la vie misérable dans les états du sud à celle, à peine moins défavorisée, de Harlem. Les ravages de la came, les flics corrompus. Tout le roman se déroule au son de la note bleue. Tout se passait autour du Cotton Club, « où artistes et serveurs étaient tous noirs et les clients tous blancs »puis tous les clubs se sont implantés sur la 52e Rue. Le lecteur assiste alors à la naissance du Bebop avec un certain Dizzy… « de la musique de fous. Très rapide mais qui ne swingue pas. Pas possible de danser dessus ». Alors prenons le train A, autour de minuit avec Jake, Clyde et Yolanda.
* Notons que Viper’s Dream est aussi une composition de Django Reinhardt