C’est le conservatoire Pierre Barbizet qui accueille le Festival Les Émouvantes, plus précisément la salle « André Audoli ». Vaste salle, haute de plafond aménagée en lieu de concert par l’équipe technique du festival. Trois soirées, six concerts de musique d’aujourd’hui pour cette dixième édition.
Jeudi 22 :
19h : Tout le monde est prêt, équipe technique, photographes, la pile de Jazzophone sur le stand du disquaire et le public venu nombreux. Plus un siège de libre !
Claude Tchamitchian a la double casquette ce soir. Directeur artistique, il présente la soirée et contrebassiste, il joue avec son trio.
Lequel trio sera, pour l’occasion, un duo car le guitariste Pierrick Hardy a malheureusement dû annuler sa venue. Au côté du contrebassiste, la clarinettiste Catherine Delaunay.
Ils vont enchaîner les trois suites de ce projet Naïri concocté par Tchamitchian pour célébrer les mythologies arméniennes. De longs dialogues entre les deux instruments qui s’interpellent, se répondent. Beaucoup d’intensité dans le leur jeu, une forte émotion se dégage de chacune de leur note. A voir leur sourire respectif à la fin du set, on se dit qu’on a vécu un moment rare.
21h: le quatuor Bela et le guitariste Marc Ducret prennent place pour la suite lyrique électrique. Marc Ducret nous détaille les dessous de ce concert. La suite lyrique composée par Alban berg est aussi un message d’amour à la femme que le compositeur aimait. Lettre qui restera sans réponse connue. Usant d’un subterfuge musical, les notes associées à leur nom-lettre pour les anglo-saxons, (Do-C, Ré-D, Mi-E, …) permettent de former des mots, de lancer des idées. Et de le démonter dans l’instant sur le manche de sa six-cordes. Il va même jusqu’à citer quelques notes du « Foxy Lady » de Jimi Hendrix pour nous expliquer la fameuse quarte augmentée, Diabolus In Musica que l’on retrouve dans la partition de Berg.
Après cette mise en bouche aussi savante que savoureuse, le quatuor joue l’intégralité de la suite.
Magnifique musique du 20e siècle qui exploite toutes les possibilités des quatre cordes. Frappées, frottées, tirées, pincées jusqu’au desolato final. Très belle performance de l’altiste Julian Boutin.
Puis vient la dernière partie, la réponse de la belle dame, imaginée par Marc Ducret. D’abord seul avec sa guitare et son ampli Fender puis, en de multiples interactions avec un ou plusieurs des instrumentistes du quatuor. Une très belle entente avec le violoncelle puis avec le premier violon. On ne sait ce que Hanna Fuchs-Robettin, dédicataire secrète de cet œuvre, aurait pensé mais le public lui s’est régalé jusqu’à la dernière note de guitare distordue.
Vendredi 23
21h: Une création au programme de ce deuxième jour. Puzzle, un projet écrit, composé par la contrebassiste Hélène Labarrière.
Cinq thèmes chacun d’eux dédié à une personnalité féminine fameuse pour son engagement. Cinq musiciens pour les interpréter et cinq autres pour les arranger à leur façon. Les inspiratrices : Jeanne Avril, Thérèse Clerc, Angela Davis, Emma Goldman et Louise Michel. Les arrangeurs (non présents ce soir-là) : François Corneloup, Marc Ducret, Sylvain Kassap, Jacky Molard, Dominique Pifarely et enfin les instrumentistes Catherine Delaunay (clarinette), Robin Fincker (saxophone), Simon Goubert (batterie), Hélène Labarrière (contrebasse) Stéphane Bartelt (guitare).
Cinq tableaux-portraits où chacun des musiciens ajoute sa petite touche de couleur. Du pastel de la clarinette à l’acrylique de la guitare au bottleneck (mazette, quel guitariste!). Les riffs de basse, les plaintes (pas toujours tristes) du ténor savamment réglés par les baguettes, les cymbales de Simon Goubert.
Samedi 24:
Une soirée aussi littéraire que musicale. Deux groupes, deux écrivains au programme de cette dernière soirée du Festival Les Émouvantes.
19h: Le trio Love of Life de Vincent Courtois puise son inspiration dans les nouvelles de l’écrivain américain Jack London. Une formation insolite deux saxophones ténor et un violoncelle. Vincent Courtois a plus d’un tour sur son manche. Il peut jouer de son violoncelle en pizzicati ou en walkin bass, évidement à l’archet de façon classique et même classieuse mais avec un brin d’ironie. Plus étonnant s’emparer d’un médiator pour jouer cette fois-ci, façon guitare en accord ou en chorus en bas du manche.
A ses côtés, Robin Fincker alterne ténor et clarinette pour duotter avec le sax de Daniel Erdmann dans de magnifiques unissons ou dans des battles d’impros. Une mention toute particulière pour « The Road », cette évocation des vagabonds du rail où l’on entend le train qui arrive, le choc des wagons, les hobos qui se précipitent dans les fourgons à bestiaux avec l’espoir d’une prochaine destination.
21h: Dernier concert du festival, Stéphane Payen et son septet mettent en musique et en mots, les écrits de James Baldwin.
Des textes concoctés par trois vocalistes, installés au premier rang, Jamika Ajalon, Tamara Singh et Mike Ladd. Des spoken words, du slam.
En deuxième ligne quatre musiciens jouent les compositions de Stéphane Payen. Il est à l’alto, Dominique Pifarely au violon, Sylvaine Hélary aux flutes
et Marc Ducret à la guitare. Les voix comme les instrumentistes sont exceptionnels dans l’impro, dans la mixité. D’Istanbul à New York. Ce « Baldwin en Transit » est d’une construction impressionnante. La rage et la colère de l’auteur transparaissent dans les notes et dans les mots. Elles restent même en suspend une fois les micros fermés en les lumières éteintes.
Quel final épique.
Outre la qualité des concerts (merci Julie Barnoin pour les superbes lumières et Matteo Fontaine pour le son, tout aussi impeccable), les émouvantes c’est aussi la proximité avec les musiciens. Ils ne se cachent pas dans un quelconque backstage, on peut les retrouver après les concerts, non loin de la buvette. Échanger avec certains, en écouter d’autres raconter quelques anecdotes de concerts autour d’un verre, sous les étoiles ou sous la pluie, à l’abri des augustes murs du conservatoire. Commencée en été et fini en automne, cette dixième édition du festival Les émouvantes a régalé nos sens.
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