Comme chaque soirée, la musique à Junas se décline en deux lieux, trois moments. Premier concert, gratuit sur la place de l’Avenir, pardon, place Daniel Humair, puis l’on monte (discutable, certains y descendent !) dans les carrières pour y voir tomber la nuit, s’illuminer les pierres, et surtout s’imprégner du son, impeccable en tout endroit, qui magnifie la note bleue en deux sets, savamment concoctés par les organisateurs.
Le 21 juillet donc, c’est l’ensemble de Gaël Horellou qui débute cette soirée où les couleurs Rimbaldiennes vont se succéder. A noir*, donc pour le projet Identité de ce groupe qui intègre habilement rythmiques du Maloya de La Réunion – musique née pour exprimer la douleur et la révolte des esclaves d’origine malgache et africaine – et les harmonies du jazz américain, finalement les descendants des premiers.
Si Gaël Horrelou est à l’origine de la plupart des titres et le meneur attentif des autres musiciens, on apprécie la place qu’il laisse à la guitare de Nicolas Beaulieu, à cette symbiose entre leurs deux instruments. Les percussionnistes Vincent Philéas, Zelito Deliron ainsi que Vincent Alyberil, certes instillent le rythme aux couleurs chatoyantes, mais catalysent aussi grâce à leurs voix cette union entre les différents univers. Un peu en retrait, imperturbable, l’orgue de Florent Gac ajoute ce qui pourrait être des notes sages, multipliant l’univers des possibles. Chacun des musiciens mettra une énergie vitale à nous faire partager ce métissage, parfois surprenant, souvent évident, et la générosité qui sourd de chacun d’entre eux ajoute à la qualité de ce très beau set.
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes*
Comme ces vers s’accordent bien à l’univers de Rouge, le trio de Madeleine Cazenave, La nuit tombe, le piano de la jeune femme, la contrebasse de Sylvain Didou et la batterie de Boris Louvet sont maintenant sur scène au milieu des carrières. Les notes claires du piano sont égrenées avec douceur mais aussi avec force, conviction, vibrations vitales, primaires soutenues par les lignes de basses et la scansion inspirée, minimaliste du batteur. Chacun collabore à l’élaboration érudite d’un paysage, parfois haut dans le cosmos, parfois bien terrestre, jusqu’à pénétrer l’intime de chacun d’entre nous. Le trio tisse une toile, nous prend dans ses rets, non pas comme des prisonniers, mais comme des invités pour partager leur territoire sonore, certes mâtiné de couleurs chaudes mais polychromique du début à la fin.
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges*
Il faut bien terminer ce voyage par le bleu, la teinte emblématique du genre. Bleu cobalt, bleu de Sienne, bleu d’azur, marine ou saphir pour le collectif La Boutique emmené par Fabrice Martinez, octet issu de l’orchestre Archimusic initialement crée par Jean Rémy Guédon. En invité de cette formation l’accordéoniste Vincent Peirani. Le projet s’appelle Twins, l’on pourra ultérieurement s’interroger sur le titre, skyscrappers légendaires ou bien gémellité, plutôt frères et sœurs, familles recomposées, partageant une même passion, faire vibrer l’espace et le temps. Des bois, des cuivres; les anches sont libres et libérées pour accompagner les zéphyrs légers, ronflants, rebondissants sur les falaises.
Un orchestre rutilant aux sonorités flamboyantes pour terminer une soirée de délires et rythmes lents sous les rutilements du jour** jusqu’à la fin de la nuit.
*Voyelles, Rimbaud
** Le Bateau ivre