La 11 édition du Festival Les Émouvantes se tient cette année au Conservatoire de région Pierre Barbizet à Marseille. On dépose à l’accueil une brassé du Jazzophone #27 avant de rejoindre la salle Andioli où se tiennent les concerts.
C’est le jeune trio Suzanne (lauréat Jazz Migration 2021) qui ouvre cette 11e édition du festival Les émouvantes. Un trio à l’instrumentarium atypique, composé de Hélène Duret clarinette basse, voix ; Pierre Tereygeol guitare, voix ; Maëlle Desbrosses alto, voix.
Un concert en avant-première de la sortie de leur album « Travel Blind » qu’ils vont nous faire découvrir. Les trois voix, les trois instruments, nous entraînent dans un univers qu’ils qualifient eux-mêmes de folk moderne mais il serait réducteur de les cantonner à un genre précis. Suzanne, c’est celle de Leonard Cohen, et tout naturellement nous allons vers « Her Place Near The River ». Preuve de leur éclectisme, ils rendent hommage, un peu plus tard juste avant le rappel, à Frank Zappa : « Where is Frank ? » (Grande source d’inspiration nous dira le guitariste). Une superbe mélodie où les cordes joutent sur la ligne de basse de la clarinette. Nul doute que le génial moustachu – que l’on ne pouvait guère cloisonner non plus – eut apprécié ! S’il sait caresser ses cordes avec délicatesse, Pierre Tereygeol peut aussi, les frotter avec un bottleneck, les confronter à un mimi kalimba posé directement sur la caisse de sa Taylor ou même leur faire subir quelques rudesses d’un ongle rageur.
Hélène Duret, ne réduit pas non plus son jeu à une simple basse continue d’accompagnement. Sa clarinette enrobe le jeu des cordes dans une mélopée sinueuse et sert parfois même de percussions.
Si Maëlle Desbrosses joue de son alto avec l’archet, elle l’utilise aussi comme une guitare (ils jouent du folk disait-on !). En final, ils reprennent « Satisfied Mind », façon gospel, une vieille rengaine popularisée par Johnny Cash ou Jeff Buckley, où leurs voix se mêlent avec bonheur aux instruments.
Un autre trio pour le second concert. Et un tout autre univers mais toujours dans l’idée de transgresser les frontières d’un jazz calibré. Poetic Power de Claude Tchamitchian (par ailleurs directeur artistique du festival) avec à ses côtés Eric Echampard à la batterie et Christophe Monniot au saxophone alto.
Ils jouent quelques suites de l’album éponyme, des compositions écrites autour d’un être symbolique qu’est l’arbre. Le contrebassiste étant tout naturellement les racines, le saxophoniste la ramure (branches, feuilles) et le batteur qui maintient le tout droit et en place, le tronc. L’archet frotte les cordes, les baguettes font tintinnabuler les cymbales puis l’alto rentre dans la danse lente. Mais rapidement, le rythme va s’élever. « Jouer de la contrebasse est très physique » nous dira plus tard Claude Tchamitchian en regardant ses doigts.
Christophe Monniot fait virevolter les notes de son saxophone, le regard perdu vers le plafond.
A deux longues suites rapides succèdent une très belle ballade qui nous transporte vers d’autres lieux que chacun voit à sa façon. Petit moment d’émotion quand le contrebassiste évoque les événements récents en Arménie, le thème « Unnecessary fights » qui suit sera plus rageur. La grosse caisse devient tellurique.
Le riff de la contrebasse est doublé à l’alto. Filtré par des pédales d’effets, un micro directement dans le pavillon, le saxophone se fait hendrixien, on croit entendre la guitare de Jimi hurlant au petit matin à Woodstock. Les ondes basses vibrent, les cordes se pressent contre le manche dans un groove libérateur.
Puis après ce coup d’éclat, l’apaisement surgit des notes déliées de la contrebasse dans la quiétude apparente du thème « So Far, So close ». A la sortie, certains évoquent avec justesse à propos de ce concert le King Crimson, période « Red ». Du jazz transgenre ?