Rarement un roman graphique aura si justement saisi l’essence d’un musicien aussi insaisissable que Miles Davis. Avec “Miles Davis et la quête du son”, l’auteur et illustrateur Dave Chisholm, lui-même trompettiste de jazz, ne signe pas une simple biographie illustrée : il dessine une véritable fresque sensorielle, vibrante comme un chorus enflammé dans un club enfumé.
Dès les premières pages, le ton est donné. La narration n’obéit pas à une linéarité scolaire, mais épouse le souffle discontinu de l’artiste, entre éclats de génie, ruptures brutales et fulgurances esthétiques. Miles y apparaît tour à tour enfant curieux, jeune lion affamé de nouveauté, visionnaire intransigeant, puis vieille âme en perpétuelle quête. Car ce que Chisholm explore, c’est moins la chronologie que la psyché sonore de Davis : son besoin vital de renouveler sa musique, de repousser les frontières du jazz — qu’il s’agisse du be-bop, du cool, du modal ou du jazz fusion.
Graphiquement, l’ouvrage est une réussite totale. Le trait, à la fois anguleux et fluide, traduit l’intensité des improvisations, tandis que la mise en couleur — audacieuse, presque synesthésique — évoque les nuances harmoniques de Kind of Blue, l’électricité de Bitches Brew ou la rugosité de ses années funk. Certaines planches deviennent presque abstraites, comme si la bande dessinée elle-même se transformait en solo visuel.
Mais ce qui rend cette œuvre précieuse, c’est aussi la profondeur de sa réflexion sur le son. Pas simplement le son comme phénomène acoustique, mais comme quête existentielle, comme matière vivante que Miles sculpte, détruit, reconstruit. À travers lui, Chisholm interroge le prix de l’exigence artistique, la solitude du génie, le silence comme horizon.
À mettre entre toutes les mains, que l’on soit mordu de jazz ou simplement curieux de comprendre ce que signifie vivre pour créer. “Miles Davis et la quête du son” n’est pas qu’un hommage : c’est une immersion. Une jam session intime entre la musique et le dessin.